Introduction à la veillée
Il y a dans la Bible, au livre des Proverbes, un passage qui évoque la Sagesse au fondement du monde, établie dès l’éternité ; dès le principe, elle dansait et s’ébattait comme un enfant qui joue. Elle faisait les délices du Père par ce jeu innocent et spontané. Comme un rire communicatif, elle égayait le cœur des hommes.
Puis tout s’est obscurci par le mensonge et la convoitise.
L’enfant que nous accueillons cette nuit ne vient-il pas rétablir l’harmonie du monde par sa danse, sa spontanéité et son innocence ?
Homélie de la nuit
L’enfant aime jouer naturellement. Et le jeu premier, c’est la danse. Il faut contempler un tout petit se laisser mouvoir et émouvoir par le surgissement d’un rythme et de sons cadencés.
Avec la danse, tout reprend vie et sens. Frapper le sol d’un pied, puis de l’autre en pas alternés donne un battement qui s’articule aux mouvements de mon cœur. Si une autre personne vient m’emboîter le pas en dansant, puis une autre, puis une autre encore, ce rythme n’est plus seulement intérieur, mais il résonne extérieurement, frappe la terre pour la réveiller, retrouve l’unité du chœur dont parlait Grégoire de Nysse.
La spontanéité de cette danse vient nous réconcilier avec nous-même, nous remettre en solidarité dans le chœur harmonieux de la création. L’Église n’est pas d’abord celle de l’Institution avec ses heurs et malheurs, elle est ce chœur de danse d’une harmonie retrouvée. Seules les âmes d’enfants peuvent entendre l’appel à rejoindre cette procession joyeuse et pure. Seul l’enfant de Noël peut conduire cette danse.
Cet enfant vient renverser l’ordre du monde, l’établissement des puissants qui font sentir leur domination.
Dans l’évangile entendu, celui qui semble diriger la manœuvre et qui apparaît en premier dans le texte est l’empereur Auguste, puis est cité le gouverneur Quirinius, puis viennent les gens du commun, comme Joseph et Marie qui doivent obéir au décret impérial ; arrivent seulement ensuite les bergers dans la nuit, saisis d’une grande crainte, comme les femmes plus tard au tombeau, et enfin le Messie sauveur, entouré d’une troupe céleste innombrable de laquelle retentit une grande louange.
Tout est renversé. L’enfant Messie prend la tête de la danse. Ce ne sont plus les lourdes chaussures de soldats, les trompettes et les tambours de la puissante Rome qui donnent le pas, mais les flûtes des bergers et le chœur des anges. Quand retentit le » Gloire à Dieu au plus haut des cieux », Jésus est à la tête, et l’empereur qu’on croyait tout puissant se retrouve bon dernier du cortège. » Les premiers seront les derniers », dira l’enfant.
« Nous vous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé. Nous avons entonné des chants funèbres et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine. » En cette nuit, frères et sœurs, nous ne pouvons pas rester figés dans l’indifférence. Répondons à l’appel du chant et de la musique de notre Dieu, car répondre à la danse est au cœur du mystère de la foi. Elbatrina Clauteaux nous le dit magnifiquement dans son beau livre L’épiphanie de Dieu et le jeu théologique : » L’étymologie grecque du mot danser (s’élancer en se livrant) nous dit quelque chose du mystère de cet homme Jésus, Fils de Dieu parmi nous… Qu’est-ce que jouer et danser avec le Nous divin sinon l’accueillir dans nos vies, nous livrer à lui comme il se livre à nous en dansant ? »
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
Is 9, 1-6
Ps 95 (96), 1-2a, 2b-3, 11-12a, 12b-13a, 13bc
Tt 2, 11-14
Lc 2, 1-14