Les premiers chrétiens attendaient le retour imminent du Christ. Ce dernier tardant à venir, Paul les invite à reconnaître leur ignorance. Le jour du Seigneur viendra à l’improviste ! Face à l’incertitude du lendemain, certains contemporains que Paul appelle les fils de la nuit sont tentés de s’étourdir, d’échapper à leur angoisse dans la boisson, la convoitise, la consommation effrénée. Paul encourage les fils du jour à ne pas s’arrêter aux apparences, aux slogans trompeurs tels que : « Voici la paix, voici des jours de tranquillité. » Paul rappelle aux Thessaloniciens leur vocation de nomades sans cité permanente ici-bas. N’avons-nous pas entendu, récemment, des propos semblables de la part de concitoyens voire d’hommes politiques apaisant et banalisant la crise du Covid malgré ses nombreuses victimes ? En présence de slogans menteurs, Paul invite les Thessaloniciens, fils habités par la lumière du Christ, à ne pas se laisser endormir mais à rester vigilants et sobres.
Le sommeil comme l’ivresse plongent dans l’inconscience. Veiller, dans la Bible, c’est rester attentif, disponible à la venue du Seigneur. Ce n’est pas une attente passive. C’est accueillir et développer la foi, petite graine reçue au baptême, enfouie au fond de nous. Graine fragile en ces temps difficiles ! Comment croire que l’Esprit Saint est à l’œuvre aujourd’hui encore ? Paul invite ses interlocuteurs à mettre « la cuirasse de la foi et de l’amour. » (1Th 5, 8) Don à accueillir et à développer ! Accueillir et développer une foi à déplacer les montagnes, une foi qui croit en un changement possible dans une situation dont on ne voit pas l’issue à vue humaine. Une foi qui face aux duretés de la vie ne craint pas, par amour, de mettre les talents reçus au service de tous en prenant parfois des risques ! Agir ainsi fructifie et développe les talents et favorise l’audace et la confiance en soi !
Telle est la foi des deux premiers serviteurs évoqués dans l’évangile. Par contre, le troisième serviteur enterre le talent reçu par peur de le perdre. Dans la culture juive, le gardien d’un bien n’est pas responsable, en cas de vol ou de disparition, s’il a enfoui ce bien dans la terre. Se sent-il alors vraiment responsable ? Il existe une autre raison à cet enfouissement ! En réalité, ce serviteur a une image négative de son maître : ce dernier moissonne là où il n’a pas semé. Habité par ce préjugé, il craint l’attitude du maître à son retour ! Ce serviteur craintif ne fait pas sien le talent reçu et donc n’a pas le souci de le faire fructifier. En mettant son talent en terre, c’est comme s’il s’enterrait lui-même par peur et par manque de confiance en lui-même, en son maître et dans les autres aussi ! Hypothèse confirmée par sa réponse au retour du maître : « Voici le talent. Tu as ce qui t’appartient. »
Contrairement à ce que croit ce troisième serviteur, en distribuant tous ses biens le maître établit une relation de confiance avec chacun. Chacun reçoit une part en fonction de ses capacités. À l’époque de Jésus, un talent valait 100.000 euros ! D’autre part, à son retour, le maître n’a même pas exigé de lui restituer une part des biens donnés. Il est revenu non pas pour prendre mais pour écouter ses serviteurs évoquer leur vécu, les résultats obtenus et pour leur confier davantage encore. Comblé de joie par l’attitude des deux premiers serviteurs, le maître leur partage son bonheur ! A première vue, nous avons l’impression que le troisième serviteur est rejeté. En est-il bien ainsi ? En fait, le maître le fait sortir du trou dans lequel il s’était enterré. Il le fait sortir de la peur, de ses ténèbres intérieures pour le lancer dans les ténèbres extérieures où il pourra pleurer et grincer des dents. Rejoint, il est mis en route vers une foi qui libère de la peur !
Comment ne pas rapprocher le maître de la parabole de Dieu, confiant à Adam et Eve, aux femmes et aux hommes de tous les temps, le soin d’achever sa Création ? Voire même de Jésus, confiant à ses disciples de poursuivre son œuvre : « Allez dans le monde entier, proclamer l’Évangile à toute la création. » Certes, cela passe parfois par les douleurs d’un enfantement !
Filles et fils d’un même Père, sœurs et frères d’un même Frère, reconnaissons et faisons nôtres les talents reçus gratuitement de Dieu ! Cela passe par la prière mais aussi par le dévouement et de multiples initiatives de solidarité. Autant d’occasions de soutenir nos frères et sœurs souffrants en ce temps de crise et de poursuivre avec notre Père son œuvre de création et de recréation d’une humanité blessée.
Fr. Jean-Albert Dumoulin
Lectures de la messe :
Pr 31, 10-13.19-20.30-31
Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-5
1 Th 5, 1-6
Mt 25, 14-30