Dans le texte de la multiplication des pains entendu, Matthieu parle d’une foule nombreuse. Ayant appris la présence de Jésus, aussitôt, elle quitta le brouhaha de la ville et se mit en route pour le rejoindre. N’est-ce pas le sens de votre démarche de ce matin ? Vous vous êtes mis en route pour rencontrer le Seigneur à travers sa Parole et le signe du pain partagé.
Débarquant et cherchant un endroit désert, Jésus voit cette grande foule décrite par Matthieu mais aussi celles rassemblées en divers lieux aujourd’hui telle celle des migrants cherchant un lieu où s’établir, celle des croyants parfois très réduite à cause des persécutions, des pandémies ou celle confinée dans des hôpitaux, dans des maisons de retraite, foule constituée de personnes isolées vivant cruellement la solitude. Au lieu d’un regard furtif porté sur ces foules, Jésus décèle leurs immenses besoins : affamées de pain, d’amour, de contacts sociaux, en quête d’un gîte, malades en attente d’une parole de réconfort, d’une parole qui donne sens. Voyant la foule, Jésus est remué jusque dans ses entrailles. Il rejoint ces personnes jusque dans leurs manques, dans leurs blessures et en guérit certaines.
Le soir venu, les disciples sont bien ennuyés ! N’ayant rien à donner pour manger, se sentant impuissants face à une telle foule, ils cherchent à se débarrasser du problème au lieu de chercher comment faire pour le résoudre. Ils suggèrent à Jésus de renvoyer les gens. N’est-ce pas le langage tenu par certains responsables aujourd’hui ? Ils nient et minimisent les problèmes (la pandémie, la migration) ou les passent à d’autres pour ne pas les affronter de face !
Jésus prend alors la situation en main : il ordonne à la foule de s’asseoir et aux disciples de lui donner à manger. Il supplée au manque de ces derniers !
Dans son récit de multiplication des pains, Jean signale la présence d’un enfant ! Détail que Matthieu n’évoque même pas ! Par contre, il mentionne bien les cinq pains et les deux poissons, nourriture apportée par cet enfant ! Cet enfant accepte de partager ce qu’il a. Vous me direz c’est peu de chose pour nourrir une foule de plus de cinq mille personnes. Mais Jésus part de ce peu. S’il n’y avait pas eu ce petit garçon, s’il avait refusé de partager son pique-nique, il n’y aurait pas eu de miracle. Évocation des petits à propos desquels Jésus rend grâce à son Père ! Je pense à la veuve donnant pour aumône tout ce qu’elle a ! Songeons aussi aux communautés chrétiennes disposant de peu de moyens, au personnel soignant démuni de toute protection en début de pandémie et exposé à la maladie, à ces bénévoles interpellés par l’isolement de malades, par le manque de masques, à nos concitoyens ouvrant leur porte aux migrants ! Le Seigneur est capable, avec le peu que nous avons et que nous acceptons de partager, de combler nos manques. Hier, il a été capable de nourrir une foule, pourquoi ne le ferait-il pas encore aujourd’hui ?
Certains de nos contemporains attendaient une parole forte de l’Église en ce temps de crise ! En réalité, ils n’ont pas perçu la Présence qui animait ces petits gestes de solidarité, d’encouragement et d’attention de croyants et de non croyants soutenant les acteurs de première ligne ou les malades. Ils n’ont pas perçu la foi qui suscitait la créativité chez certains afin que des croyants isolés puissent être rejoints par la Parole du Seigneur. Gestes simples exprimant l’intensité du désir de Dieu de donner largement et gratuitement afin d’accompagner et de sauver des vies.
Quand Isaïe parle d’eau, de vin, de lait, il désigne la Parole de Dieu qui unit à Dieu, qui fait vivre. Parole prenant chair dans toutes ces initiatives rejoignant la soif et la faim d’hommes et des femmes désemparés, vivant un véritable désert social et spirituel. L’Esprit de Jésus, soufflant là où il veut, sans en avoir toujours conscience, ces hommes et ces femmes répondaient à l’invitation de Jésus : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » Parole d’une actualité criante, non réservée uniquement à des spécialistes mais destinées aussi à des personnes dont le cœur est saisi de compassion !
Ce n’est pas d’abord de bons plats que les fragilisés de la vie avaient et ont besoin mais d’un regard de reconnaissance, d’un geste habité par une présence amoureuse telle celle évoquée par Paul dans sa lettre aux Romains. Amour vécu par le Christ que ni la détresse, ni l’angoisse, ni le dénuement, ni le danger n’arrêtent. Amour qui se reçoit du Père, à l’écart, et en rayonne au milieu de la pâte humaine !
L’évangile ajoute : « Ils mangèrent tous et il resta douze paniers pleins. » Surabondance évoquant les 12 tribus, les 12 disciples choisis et invités à partager la Bonne Nouvelle à tous et partout dans le monde ! Donc à nous aujourd’hui, Jésus dit : « Prenez et mangez mon corps, devenez celui que vous recevez et donnez-vous mêmes à manger! » Venus pour une rencontre nous voilà envoyés aux affamés et assoiffés d’aujourd’hui ! Avons-nous assez de foi, assez d’audace pour répondre à cet appel?
Fr. Jean-Albert Dumoulin
P.S. : Homélie inspirée par « Feu Nouveau » 63/5 –juin-juillet 2020
Lectures de la messe :
Is 55, 1-3
Ps 144 (145), 8-9, 15-16, 17-18
Rm 8, 35.37-39
Mt 14, 13-21