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Voici à nouveau trois petites paraboles à propos du Royaume. Un premier sens se dégage assez facilement des deux premières, celles qui parlent d’un trésor découvert dans un champ ou d’une perle de grand prix. Dans les deux cas, l’homme vend tout ce qu’il possède et achète soit le champ soit la perle. Dans les deux cas, rien n’est plus estimable que ce qui a été trouvé au point qu’on se dépouille de tout, sans rien mettre sur le côté, sans se garder comme on dit « une poire pour la soif » ou prendre, comme on ferait aujourd’hui, une assurance tout risque au cas où. C’est une forme de pari qui engage l’existence et l’avenir.

Que peut être ce bien qui mérite qu’on lui donne tout ? Un amour ? Un projet ? Une passion ? Le soin d’un proche ? Il est de ces choix, apparemment un peu fous, qui relèvent de cette intuition intérieure que l’on ne peut pas ne pas répondre à l’appel qui résonne au plus profond de l’être. Et qu’y répondre dilate le cœur et procure une joie intense.  Comme pour l’homme de l’Evangile qui découvre le trésor. Sa joie l’emporte sur la pénibilité du dépouillement.

Pour Matthieu, les propos de Jésus adressés aux disciples sont incisifs, tranchants. Sont-ils prêts à tout mettre dans la balance pour suivre Jésus et faire germer avec lui le Royaume ? Trouveront-ils là leur joie ?

Dans la 2ème parabole, appelée à tort celle de la perle car, en fait, c’est au négociant qui cherche « la » perle qu’est comparé le Royaume, la métaphore est double : elle porte à la fois sur le sujet, celui qui cherche, le marchand, et l’objet, la perle rare. Le Royaume s’en trouve présenté en même temps comme une dynamique, une quête, un travail, constitué d’hommes et de femmes en action, et comme un bien précieux à chercher. Il est à la fois désirant et désiré, à l’image de Dieu lui-même en quête de l’homme et cherché par lui.

Arrêtons-nous maintenant à celui à qui la chance sourit. Il trouve un trésor qu’il n’a pas cherché. Mais, dites-moi : avait-il la tête en l’air et les yeux accrochés aux nuages lorsqu’il qu’il a décelé ce trésor ? Sans doute, marchait-il plutôt les yeux rivés au sol ou labourait-il son champ. Le détail de ce trésor trouvé en terre a tout à coup revêtu à mes yeux un sens incroyable grâce à une lecture. Il ne s’agit pourtant pas d’un ouvrage théologique, mais d’un récit. Le frère François Cassingena-Trevedy, moine bénédictin, raconte une randonnée effectuée à travers l’Auvergne. Il y fait l’éloge de la marche comme aventure spirituelle et son écriture, au demeurant très colorée, est émaillée de pensées qui lui venaient au détour des chemins, notamment celle-ci, d’une portée inouïe : « Il n’est de ciel que celui que la terre me donne. » [1]

C’est un renversement de perspectives ! La terre devient, si j’ose dire, pourvoyeuse du Royaume. Elle en est le berceau. C’est là qu’il faut le chercher, qu’il faut tourner son regard, scruter les signes de son avènement. Le Royaume, en effet, trace son chemin cahin-caha, au cœur du monde, dans son brouhaha, à travers tous ses paradoxes, ses côtés magnifiques et des gens merveilleux de générosité, mais aussi ses côtés tordus et des humains malfaisants.

A l’image du filet de la troisième parabole qui ramasse toutes sortes de poissons, des bons et des mauvais. On retrouve un peu l’idée du bon grain et de l’ivraie de dimanche dernier. Il nous faut consentir au deuil d’un monde parfait, comme au deuil de notre propre perfection. Mais, pour reprendre une image assez suggestive -un peu audacieuse !-,  entendue il y a peu, Jésus ne nous a-t-il pas appris que nous avons aussi le droit de nous présenter devant Dieu avec les « cheveux décoiffés » ? [2]  

Et j’ai envie d’ajouter « et décoiffés entre nous, les uns devant les autres ». Il me semble en effet qu’accepter d’être décoiffé a quelque chose à voir avec le Royaume, où l’on n’a pas besoin d’être parfait, de jouer au plus beau ou au plus fort, de prouver quelque chose – mais quoi ?-, mais où l’on est accueilli et aimé comme on est, sans fard, j’allais dire sans masque ! Si le regard de l’A/autre est bienveillant, qu’y a-t-il à craindre ? Pour moi, le Royaume, est de cet ordre-là, tissé de relations de confiance, construites dans la patience et le recommencement des jours. Chacun y a sa place, quel qu’il soit, la logique de rivalité y cède la place à un esprit de coopération et de fraternité, l’on y est complémentaire. Quand l’un défaille, un autre prend le relais. Notre frère moine de Ligugé n’a-t-il pas raison de dire que, lorsque les choses se passent comme cela, la terre nous donne à voir le ciel ?

Je voudrais terminer par une autre petite parabole, issue d’une tradition différente, mais dont les propos semblent si bien s’accorder avec cette idée du Royaume.

On demandait un jour à un Persan dont on disait qu’il était un homme sage : « Tu as de nombreux enfants, quel est ton préféré ? »
L’homme répondit :

« Celui de mes enfants que je préfère,
c’est le plus petit, jusqu’à ce qu’il grandisse,
celui qui est loin jusqu’à ce qu’il revienne,
celui qui est malade jusqu’à ce qu’il guérisse,
celui qui est prisonnier jusqu’à ce qu’il soit libéré,
celui qui est éprouvé, jusqu’à ce qu’il soit consolé.

[1] François CASSINGENA-TREVEDY, Cantique de l’Infinistère, A travers l’Auvergne, DDB, 2019, p. 116

[2] David FLUSSER, source non communiquée

Marie-Pierre Polis

Lectures de la messe :
1 R 3, 5.7-12
Ps 118 (119), 57.72.76-77.127-128.129-130
Rm 8, 28-30
Mt 13, 44-52

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