VENDREDI SAINT
LITURGIE DES HEURES
Vous voulez prier et peut-être chanter en communion avec nous, vous trouverez ici un accès au fascicule de l’Office. Chaque ligne en rouge est un lien. Il suffit de cliquer.
MATINES ET LAUDES
Lecture 1 : 1 Lm 4, 1-22
Répons
Lecture 2 :
Adam, où es-tu ? crie à nouveau le Christ en croix.
Je suis venu là à ta recherche et, pour pouvoir te trouver, j’ai tendu les mains sur la croix. Les mains tendues, je me tourne vers le Père pour rendre grâce de t’avoir trouvé, puis je les tourne aussi vers toi pour t’embrasser. Je ne suis pas venu pour juger ton péché, mais pour te sauver par mon amour des hommes, je ne suis pas venu te maudire pour ta désobéissance, mais te bénir par mon obéissance. Je te couvrirai de mes ailes, tu trouveras à mon ombre un refuge. Ma fidélité te couvrira du bouclier de la croix et tu ne craindras pas la terreur des nuits car tu connaîtras le jour sans déclin. Je chercherai ta vie, cachée dans les ténèbres et à l’ombre de la mort, je n’aurai de repos, jusqu’à ce qu’humilié et descendu jusqu’aux enfers pour t’y chercher, je t’aie reconduit dans le ciel.
Saint Germain de Constantinople
Cantique de l’Ancien Testament – Is 38, 10-20
Lecture : Mt 27, 62-66
Notre Père
OFFICE DE MIDI
Lecture : Is 53, 4-5
MÉDITATION
Frère Hubert nous propose de méditer avec lui :
La méditation-réflexion qui suit était d’abord destinée à un groupe qui vient chaque année à Wavreumont : l’escapade littéraire. Ce groupe me demande une conférence inspirée par le thème. Ce dernier était pour cette année : « les vies minuscules ». C’est le personnage de la femme qui répand du parfum sur Jésus qui a retenu mon attention.
évangile de Marc au chapitre 14
3 Jésus était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux et, pendant qu’il était à table, une femme vint, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux. Elle brisa le flacon d’albâtre et lui versa le parfum sur la tête. 4Quelques-uns se disaient entre eux avec indignation: » A quoi bon perdre ainsi ce parfum ? 5 On aurait bien pu vendre ce parfum-là plus de trois cents pièces d’argent et les donner aux pauvres! » Et ils s’irritaient contre elle. 6 Mais Jésus dit: » Laissez-la, pourquoi la tracasser ? C’est une bonne œuvre qu’elle vient d’accomplir à mon égard. 7 Des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien. Mais moi, vous ne m’avez pas pour toujours. 8 Ce qu’elle pouvait faire, elle l’a fait: d’avance elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement. 9 En vérité, je vous le déclare, partout où sera proclamé l’Évangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle a fait. »
La femme au parfum
Cette femme qui arrive dans la maison de Simon, c’est un des personnages des récits évangéliques. Ces personnages des évangiles sont, me semble-t-il, des vies minuscules. Ils n’appartiennent pas aux grands qui font l’Histoire, avec un grand H, ils ne sont pas dans le camp des vainqueurs, ceux dont on a retenu le nom et les hauts faits, les exploits dignes d’éloges. Ce ne sont pas des héros. Il y a de l’anonymat qui colle à leurs semelles, à leurs sandales.
Et pourtant, ce sont des personnages des récits évangéliques. Même s’ils sont sans nom pour la plupart, on continue à en parler. On en parle encore et les récits sont le fil sur lequel ces funambules viennent jusqu’à nous.
Parmi ces personnages des évangiles, il y a cette femme au parfum, comme j’aime l’appeler. Mystérieuse, en fin de compte.
Elle fait partie des anonymes, des sans-noms et même des sans-voix qui bougent dans les évangiles. Une vie minuscule, parmi bien d’autres.
Dans le plus ancien récit, celui de Marc, elle entre en scène tardivement. On est presqu’au bout du récit, on va arriver dans le dénouement de l’intrigue.
J’ai dit que cette femme est mystérieuse. D’un côté, ce que nous savons d’elle tient en quelques lignes. L’on n’en sait pas plus sur elle que ces quelques lignes. D’un autre côté, le narrateur dit au lecteur et l’auditeur qu’il s’agira de faire mémoire de ce qu’a fait cette femme et qu’il vient de rapporter très brièvement. Pourquoi cette recommandation insistante ?
Mais cette femme que vient-elle faire là ? Oui, que vient-elle faire ? C’est la question qui se pose au lecteur. Cette femme, l’auteur de l’évangile n’en a rien dit jusqu’à présent et son personnage ne reviendra plus sur scène après. Bien sûr, un auteur est libre de créer un personnage, de le faire entrer, de le faire sortir quand il veut. Mais quelle est son intention en écrivant ainsi ? Cette femme qui vient et puis qui s’en va, sans laisser d’autre trace que son parfum répandu, il doit bien y avoir une raison d’écrire ainsi.
Pourquoi est-elle venue ? Pourquoi est-elle entrée dans la maison de Simon qui a invité Jésus à sa table ? Rien n’est dit d’explicite. A première vue. Elle n’est pas attendue, pas prévue… Cette femme a-t-elle sa place ? A-t-elle bien sa place là ?
Inattendue, venant comme par surprise, elle fait une brèche dans la maison de Simon, son ordre, ses certitudes. Faire une brèche dans un lieu, c’est décloisonner, déclôturer, déranger. Et ce dérangement fait question.
Elle ne vient pas sans rien ; elle apporte, nous dit-on, un flacon d’albâtre rempli d’un parfum de grand prix. Voilà tout à coup qui en dit long, un peu plus long sur ses intentions. La femme et du parfum : mais voilà, c’est de la séduction… Peut-être et pourquoi pas ? Le danger serait d’enfermer son geste, de l’enfermer, elle, dans une explication déjà disponible, de la mettre aux arrêts dans une interprétation. On sait déjà et l’histoire peut en rester là…
Mais justement, continuons. Cette femme vient avec du parfum de grand prix, comme le précisent les diverses versions de l’événement. De toute manière, et ce n’est sans doute pas un détail anodin, le parfum se perd, sa substance est de se perdre pour se répandre et de devenir irrécupérable. Le parfum est toujours perdu. Et son prix, car il est de grand prix, augmente cette perte. Le narrateur, chez Marc, précise que la femme brise le flacon d’albâtre pour pouvoir ensuite le verser sur la tête de Jésus. Le parfum est subtil ; il est à la fois substance composée et esprit, l’esprit du parfum, à la fois corps et âme, corps et esprit. Il est pour le corps, senteur, saveur mais aussi bien pour ce qui est au-delà du corps, le corps subtil, le corps glorieux.
Et bien sûr cela fait parler, cela fait venir des paroles : « A quoi bon ce gaspillage ? On aurait pu donner cet argent aux pauvres ». Et les disciples, dont Judas, tiennent les mêmes propos. Eux qui accompagnent Jésus depuis un temps, c’est la réflexion qui leur vient : le prix, l’argent, les pauvres. Comme s’ils étaient dans l’incompréhension, l’incapacité de laisser ces gestes à leur gratuité, comme s’il fallait, ces gestes, les ramener dans les lieux connus, les lieux communs, les amarrer, les mettre à quai plutôt que de les laisser aller. « Quel gaspillage…avec le prix de ce parfum, on aurait pu… ». On se trouve là dans les prix, les calculs, les comparaisons. La logique du calcul. Mais n’y a-t-il que celle-là ?
Cette femme montre une autre logique que celle du calcul et des calculs, une logique d’excès, de la démesure, celle qui passe les mesures, qui passe les bornes, celle qu’on ne peut pas ramener dans les normes. On voit son excès : elle répand son parfum, dénoue ses cheveux et, comme dit la narration de Jean, elle essuie les pieds de Jésus avec ses cheveux.
Il n’est pas sûr qu’il faille opposer ces deux logiques comme si elles étaient antagonistes : d’un côté les pauvres, de l’autre Jésus, d’un côté la solidarité, la justice, de l’autre la passion, l’affection, la piété, l’adoration. Jésus, dans sa réponse aux commentaires qu’il entend, met en garde contre une conception de la solidarité qui se prévaudrait d’elle-même. Les pauvres, il y en aura encore et il faudra continuer à les voir et à leur venir en aide mais cela ne peut empêcher de laisser venir l’événement et d’y répondre dans la gratuité. Il n’est pas question de préférer une logique à l’autre mais de faire de la place à chacune d’elles.
Je suis attentif à certaines agrafes du texte, à ce qu’il met en résonance.
En effet comment ne pas mettre en lien le corps de Jésus qui est parfumé et celui qui bientôt sera mis en croix ? C’est bien du corps qu’il est question.
Comment ne pas faire un lien entre le parfum de grand prix apporté par cette femme et le prix par lequel Judas s’apprête de trahir et de vendre son Maître ?
Jésus lui-même évoque le parfum répandu sur son corps et son ensevelissement. Le parfum n’a pu donner son effet que parce que le flacon qui le contenait a été brisé. Ainsi de Jésus dont le corps brisé est un signe d’une bonté inexplicable.
Je l’ai dit plus haut, le narrateur demande qu’il soit fait mémoire du geste de cette femme. Comme il est dit en Marc : « partout où sera proclamé l’Évangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle a fait ». Comment comprendre que dans la transmission de l’Évangile, il faille redire le geste infime de cette femme, jadis dans un coin perdu ? Il y a là un paradoxe inattendu et qui de ce fait surprend.
Et si l’Évangile était concentré en cette bonté surprenante, inattendue, décalée ? En cette capacité de faire surgir du neuf, le neuf d’une bonté qui troue le monde tel qu’il va, qui fait une brèche, qui sort le monde de ses gonds ?
L’Évangile est d’abord sans contenu. On ne peut le ramener à ceci ou à cela, à telle vision du monde, tel programme, à telle ou telle signification ou désir d’un sens. C’est le geste insensé de cette femme sans nom. Cela n’a pas de sens. Pourquoi, demandent les doctrinaires du sens ? Mais c’est désespérément sans pourquoi.
Vouloir mettre l’Évangile d’emblée dans un contenu, c’est quelque part vouloir le tenir bien en main, le détenir, le contrôler. Je me le demande : ne serait-ce pas une forme de violence ? Voilà mon Évangile, voilà mon sens, voilà mes thèses. Le danger ne serait-il pas de remettre l’Évangile dans le lieu des polémiques : thèse contre thèse, doctrine contre une autre avec ses clôtures, son identité. L’Évangile est d’abord sans contenu.
Cet épisode de la femme au parfum montre bien que l’Évangile ne peut être ramené à du notionnel, du conceptuel, une doctrine, un message pieux. Ni non plus à un projet de changer le monde, changer la vie. C’est le vivre, la vie en tant que sentir et toucher, la vie jouie, antérieure à toutes les distinctions et les répartitions. L’Évangile n’est pas d’abord un message religieux ou une morale, il est ce qui vient avant, le vivre qui nous constitue comme vivant. On voit ici que le geste de cette femme n’a rien à voir avec le religieux ou la morale mais fait entrer dans la saveur de la vie. Inexplicablement.
Une fois encore une scène pareille nous fait toucher du doigt que l’Évangile est inimitable. Il n’y a pas là un modèle à imiter, à reproduire, copier et coller…Mais alors à quoi bon, pensera-t-on ? A quoi bon raconter cette scène que l’on pourrait être tenté de qualifier de « romantique ». Veut-elle nous faire fantasmer sur cette femme ? Nous faire pleurer peut-être ? Nous faire pleurer sur nous-mêmes dont le cœur est encore si dur ? Il faut entrer dans la force vive de ce récit, son incandescence pourrait-on dire, par le contraste qu’il met entre les gestes de cette femme, sa viveté, sa vivacité silencieuse et le gris consternant des paroles convenues de ceux qui sont là : Simon, les disciples qui paraissent comme coincés dans leurs jugements, enfermés dans leurs conventions.
Cette scène d’évangile, on le comprend, a été reprise, entre autres, par les théologies féministes. Pourquoi continuer à raconter le geste de cette femme ? Cette histoire ne serait-elle pas une invitation à prendre conscience des préjugés qui pèsent sur les femmes et une invitation à poursuivre la libération de leur sujétion ? Il s’agirait de trouver dans la narration de la femme au parfum de quoi susciter de nouveaux récits de vie qui racontent à nouveau des moments de liberté et de libération.
Elena Ferrante Chroniques du hasard, Gallimard, 2019 p.40
Fr. Hubert Thomas
INTERMÈDE
J.S. Bach
« Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ », BWV 639
Alfred Brendel
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OFFICE DE LA PASSION
Ouverture
Lamentation en araméen :
Ha lahma’ anya
Jordi Saval Cappela real de Catalunya
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Lectures :
Is 52, 13 à 53, 12
Ps 30
He 4, 14-16 ; 5, 7-9
Jn 18, 1 à 19,42
Intermède musical
Tradition orthodoxe ancienne
Stichera n° 5
Orthodox ensemble Kolchkov
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Prière universelle :
1. – Dieu, notre Père, nous voici rassemblés dans le souvenir de ce jour où Jésus, ton Fils, a subi pour nous la Passion.
Donne à tous ceux qui se réclament du Christ le courage de porter humblement leur croix, jour après jour. Garde les chrétiens persécutés de la tentation du désespoir et de l’abandon.
Que ton Esprit rejoigne chacun sur sa route.
Alors nos chemins de croix deviendront chemins de résurrection.
2. – Dieu, notre Père, nous voici rassemblés dans le souvenir de ce jour où Jésus, ton Fils, fut abandonné par ses amis.
Nous te prions pour notre pape François, pour notre évêque Jean-Pierre, pour notre père abbé président Maksymilian, pour les ministres ordonnés et tous les laïcs qui accomplissent un service d’Église.
Spécialement cette année, nous te prions pour tous ceux et celles qui permettent à leurs frères et sœurs de suivre les liturgies de la semaine sainte par internet, par la radio ou la télévision ou simplement par une communion de prière intense. Que ton Esprit soutienne tes serviteurs. Que la crise que nous vivons ramène chacun à sa responsabilité irremplaçable pour annoncer l’évangile dans l’Esprit de Celui qui a lavé les pieds de ses disciples.
3. – Dieu, notre Père, nous voici rassemblés dans le souvenir de ce jour où Jésus, ton Fils, fut condamné par Pilate.
Nous te prions pour les chefs d’Etat, pour les responsables des affaires publiques, pour ceux qui ont le pouvoir d’infléchir l’évolution de l’humanité et le sort de notre planète. Cette année, nous te prions spécialement pour Sophie Wilmès, son gouvernement et ses collaborateurs, qui ont pu insuffler courage et réaction salutaire à une population fatiguée par une politique qui semblait avoir perdu idéal et trop repliée sur les intérêts des partis.
Que ton Esprit éclaire toutes ces personnes qui ont un rôle à jouer dans leurs choix et leurs orientations, pour qu’elles servent vraiment le Bien de tous, en particulier des plus pauvres et des sans voix, et nous connaîtrons ensemble, la paix, la justice et la liberté.
4. – Dieu, notre Père, nous voici rassemblés dans le souvenir de ce jour où Jésus, ton Fils, fut rejeté par les siens.
Nous te prions, en ce temps de confinement, pour ceux qui sont seuls, sans visite et sans aide. Nous te prions pour ceux que notre société rejette à cause de leur origine ou de leurs opinions, pour les prisonniers et les sortants de prison, pour les chômeurs, les migrants, les SDF, et tous ceux qui souffrent d’une forme d’exclusion: racisme, antisémitisme, islamophobie, sexisme, victimes de violences à la maison,…
Nous te prions spécialement cette année pour les malades qui ont vu leur vie s’arrêter à cause de l’épidémie, ceux qui souffrent à l’hôpital ou chez eux et pour les soignants engagés dans une bataille qui requière d’eux force et courage.
Que ton Esprit saint, Seigneur, transfigure toute souffrance humaine.
Que chacun trouve dans sa détresse le secours toujours offert de ta miséricorde.
5. – Dieu, notre Père, nous voici rassemblés dans le souvenir de ce jour où Jésus, ton Fils, est mort pour rassembler dans l’unité tes enfants dispersés.
Nous te prions pour tous les hommes et toutes les femmes de notre terre, pour ceux qui s’efforcent de construire un monde plus fraternel et plus habitable, ceux qui luttent dans le domaine du climat, de la pollution, de l’écologie.
Pour les baptisés de ce jour et ceux qui seront l’Eglise de demain.
Pour nos frères protestants et orthodoxes, pour les Juifs, dépositaires de ta promesse, pour les Musulmans qui veulent voir leur tradition purifiée de la violence qui la défigure, pour les bouddhistes qui réapprennent au monde les chemins de la méditation, pour les agnostiques qui nous apprennent à poser des questions et à renoncer à l’idéologie, pour les athées dont la révolte cherche la justice.
Que ton Esprit Saint, Seigneur, illumine la vie de chaque homme.
6. – Dieu, notre Père, nous voici rassemblés dans le souvenir de ce jour où Jésus, ton Fils, est mort à Jérusalem.
Nous te prions pour notre communauté, pour chacun des frères dans le secret de sa recherche profonde, pour nos oblats, nos salariés et nos bénévoles avec leur famille, pour les nombreux hôtes qui sont venus cette année et pour ceux qui auraient voulu être là ce jour, pour les groupes bibliques, les groupes de méditation, les équipes de foyers, les groupes d’hébreu, d’arabe ou de grec, pour tous ceux qui nous aident à rallumer la flamme de notre vie dans l’Esprit.
Qu’il accomplisse son œuvre parmi nous. Alors la croix glorieuse de ton Fils deviendra signe de ton Amour infini pour tous.
Pierre Boland et Frère Renaud