Comment peut-on appeler Seigneur un homme qui a subi la mise à mort réservée aux esclaves ?
Tel est le paradoxe de ce jour. Et de cette grande semaine. Avec une particularité supplémentaire cette année : y aura-t-il une vraie Semaine Sainte si elle disparaît publiquement, noyée par la pandémie que nous connaissons ?
Regardons d’abord son déroulement. Les célébrations sont profondément unifiées, au-delà des accent propres à chaque jour. Nous suivons de loin, dans le temps, le parcours de Jésus depuis la joyeuse entrée du roi des Juifs dans sa capitale jusqu’au matin de Pâques. Nous le suivons aujourd’hui, tout proche de nous dans sa présence de Ressuscité. A chaque moment de cette grande semaine, c’est le mystère pascal que nous célébrons, tout comme il est au cœur de chaque eucharistie.
« Avant d’entrer librement dans sa passion » dit la première Prière Eucharistique. Librement : « voilà pourquoi Dieu l’a exalté » ajoute l’hymne de la lettre aux Philippiens. Plusieurs écrivains de notre siècle se sont penchés sur le choix crucial de Jésus : au jardin des Oliviers, Eric-Emmanuel Schmitt dans ‘L’Evangile selon Pilate’ ; face à la croix, Amélie Nothomb dans ‘Soif’ : pourquoi Jésus n’a-t-il pas voulu fuir la mort violente qui s’annonçait ?
La réponse est dans la passion. La passion, en langage courant, est une attitude d’engagement total, qui pousse au-delà du raisonnable et du rationnel. Passion d’amour de Jésus pour celui qu’il nomme Abba-Père, et passion pour l’humanité. Dans le fond de son cœur et sous le regard du Père, malgré l’abandon de ses trois meilleurs amis, le Christ a puisé la foi et la force d’aimer qui lui ont permis de traverser l’épreuve et d’affronter la mort.
Ainsi la croix est devenue le signe du don total et de l’Alliance entre la terre et le ciel, promise à tout l’univers sur qui elle étend ses bras. Les rameaux verts de l’espérance sont inséparables du linceul blanc de la résurrection. C’est pourquoi nous pouvons proclamer en tout temps : Jésus Christ est Seigneur.
Pour ne pas conclure, et puisque le missel ne prévoit pas de prière universelle aujourd’hui, je vous propose ce regard sur l’actualité, traduit de l’espagnol :
Qui dit qu’il n’y aura pas de Semaine Sainte ?
N’avez-vous pas vu l’immense procession de personnes, sans tunique ni ceinture ni capuche, testées positives du coronavirus ?
Ne voyez-vous pas la Via Crucis du personnel soignant remonter le Calvaire de la pandémie, débordant de force avec au cœur l’angoisse de ne pas pouvoir tenir ?
Celui qui dit que le Nazaréen ne sortira pas pour cette Semaine Sainte n’a pas vu les médecins en blouse blanche et au cœur sensible, qui portent la croix de douleur des personnes touchées ?
Ne voyez-vous pas autant de scientifiques transpirer sang et eau, comme à Gethsémani, pour trouver un traitement ou un vaccin ?
Ne dites pas que Jésus ne passe pas dans les rues cette année, alors qu’il y a tant de gens qui doivent travailler pour apporter nourriture et médicaments à tout le monde.
N’avez-vous pas vu le nombre de Cyrénéens s’offrir d’une manière ou d’une autre pour porter les lourdes croix ?
Ne voyez-vous pas combien de personnes, des Véroniques, sont exposées à l’infection pour essuyer le visage des personnes touchées ?
Qui a dit que Jésus ne tombait pas à terre à chaque fois que nous entendons le chiffre froid de nouvelles victimes ?…
Ne dites pas : pas de Semaine Sainte ; ne le dites pas car le drame de la Passion n’a sûrement presque jamais été aussi réel et authentique.
Abbé René Rouschop
Lectures de la messe :
Mt 21, 1-11
Is 50, 4-7
Ps 21 (22), 8-9, 17-18a, 19-20, 22c-24a
Ph 2, 6-11
Mt 26, 14 – 27, 66