Quand on organise un anniversaire surprise, une clef de la réussite du projet est de convaincre la personne à fêter de se rendre à un rendez-vous fictif suffisamment plausible pour ne pas éveiller les soupçons sur la machination bienveillante en train de se tramer. Mettre en mouvement, orienter vers une destination et conduire vers une autre encore plus inespérée et inattendue,
C’est un peu ce que fait Dieu dans les textes d’aujourd’hui, à part que Lui ne donne même pas de destination précise au déplacement.
Quitte ton pays, ta famille et entre dans la confiance, car je ne te dis pas le but du voyage. Comme Abraham, les apôtres ont aussi quitté leurs proches pour suivre Jésus sans savoir où cela les mènerait. Et voilà qu’Il les fait bouger à nouveau. Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmena à l’écart sur une haute montagne. Ces détails nous rappellent l’Exode, le buisson ardent, le Sinaï et nous font comprendre que le lieu géographique n’est pas le plus important: en fait, Jésus les emmène vers une expérience du divin, peu importe où cela s’est passé. Et dans la deuxième lecture, Paul confirme que Dieu appelle à une vocation à part, à l’écart, c.à.d. sainte, car il a un projet à nous partager.
Pour vivre la transfiguration, il faut donc d’abord accueillir et établir une confiance entre Dieu et nous, suffisamment forte pour nous mettre en chemin vers un inconnu, et cet itinéraire avec Dieu est déjà le cadeau, la vraie destination qui est sa présence, son amour. Cette confiance de base est exprimée dans le psaume responsorial: Dieu est droit, fidèle, aimant, bienveillant,…
Les amarres larguées, la confiance établie, l’approche de Dieu est appréhendée par des signes: l’élévation, la splendeur de la lumière, la présence de Moïse et d’Elie. C’est à ce moment que la tentation de s’installer revient: » Dressons trois tentes ». Fixons les choses dans des institutions, des documents, des églises. Mais Dieu réitère son appel à quitter, à aller plus loin, et la nuée lumineuse nous remet en mémoire la sortie d’Egypte. Fuyez l’idolâtrie de vouloir capter, fonctionnaliser, instrumentaliser votre expérience de Dieu.
« Celui-ci est mon Fils bien aimé, en qui je trouve ma joie: écoutez-le. » C’est la force de la relation d’Amour entre le Père et le Fils qui est le tout bouleversant, faisant souffler l’Esprit dans nos vies: ce grand vent qui renverse nos habitudes. Devant cette petite tempête spirituelle, la première réaction, c’est la crainte. C’est trop grand pour moi, comment être à la hauteur? Mais le véritable amour n’exige pas de performance, encore moins des conditions, il attend simplement l’attachement à une présence.
» Ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. » La lueur de sa résurrection est déjà perceptible à travers nos épreuves et nos difficultés. C’est au cœur de notre quotidien qu’Il fait resplendir la Vie. Lui seul suffit pour continuer la route jusqu’au plein accomplissement de cette lumière.
Pendant une décennie, chaque année, j’écoutais une religieuse qui me racontait les grands moments de sa vie pendant les douze mois écoulés: son travail d’enseignante et sa joie de voir des adolescents brûlés d’intuitions et de créativité, ses relations quotidiennes avec ses sœurs dans le clair-obscur du vivre ensemble, son obéissance et ses difficultés avec sa provinciale ou certaines décisions de l’Eglise, son étonnement devant notre monde en mutation,… Et finalement, inexorablement, chaque année, elle concluait en faisant référence à l’évangile de la transfiguration et disait: » Mais au bout du compte, il ne reste que Jésus seul. » Cette petite phrase, dite sur le même ton que les autres, n’avait l’air de rien. Elle peut pourtant nous conduire aux profondeurs insondables de la prière et de la Vie.
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
Gn 12, 1-4a
Ps 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22
2 Tm 1, 8b-10
Mt 17, 1-9