Comme certains d’entre vous, sans doute, la contemplation de la crèche a suscité en moi de multiples questions aboutissant à une prise de conscience inattendue.
Dans notre crèche, à l’arrière-plan de Jésus, suspendu tenant les bras ouverts, il y a un soleil étincelant duquel émergent des rayons. Un projecteur éclaire l’enfant. Le soir, l’enfant Jésus brille dans la nuit évoquant aussi sa présence dans les nuits que nous traversons dans nos vies. Thème repris lors de la veillée du 24 décembre. Déposés sur le sol, il y a Marie et Joseph. Mais, pour être fidèle au récit biblique de Luc, il manque une mangeoire. Pourquoi l’enfant Jésus n’est-il pas déposé dedans ? Peut-on parler d’incarnation lorsque l’enfant Jésus semble planer entre ciel et terre ? Où sont les bergers présents dans le récit de Luc ? En ce jour, fête de l’Épiphanie, où sont les mages évoqués dans le récit de Matthieu?
Vous le savez, les évangiles, ainsi ceux de Luc et de Matthieu, sont le fruit de relectures, de méditations faites à partir de la vie de Jésus mais aussi de textes anciens du premier testament. Ainsi dans le livre des Nombres, nous lisons à propos de Balaam, prophète païen croyant en Dieu : « Oracle de Balaam, oracle de l’homme au regard pénétrant, oracle de celui qui écoute les paroles … Je le vois, non pour maintenant, je l’aperçois mais non de près : un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d’Israël » (Nb 24,17). Cette image évoquant l’étoile, signe de la naissance d’un dieu ou encore la venue du Messie est reprise par Matthieu dans l’évangile de ce jour. Pour Matthieu, ce que Balaam avait pressenti dans le passé met en route des mages, des chercheurs païens guidés par leur savoir. Cette recherche passera par des moments d’obscurité. L’étoile perçue grâce à leur savoir ne restera pas toujours visible. N’en est-il pas ainsi dans nos vies ? À certains moments, Dieu semble absent. Les forces du mal semblent l’emporter. À ce moment-là, scruter le ciel ne suffit plus. Il faut chercher ailleurs.
Ainsi, les mages se rendent à Jérusalem, au palais royal. C’est là que, normalement, ils espèrent trouver réponse à la question : « Où est le roi des juifs qui vient de naître ? » » Or leur question bouleverse le roi Hérode, il craint pour son pouvoir, et tout Jérusalem avec lui. Faisant partie du peuple juif, ayant accès aux Écritures, comment peuvent-ils ne pas savoir ? Finalement ce sont les grands prêtres et les scribes qui donneront la réponse : « Selon le prophète Michée, c’est à Bethléem en Judée, que sort celui qui doit gouverner Israël » (Mi 5, 1). Ce sont les Écritures qui répondent à la question des mages. Désormais, ce n’est plus à Jérusalem qu’il faut chercher le roi des Juifs mais à Bethléem, petite cité parmi les clans de Juda ! Ceux qui ont la clé, les autorités civiles et religieuses juives, restent sur place. Par contre, les mages, des païens, fidèles à leur intuition, ayant déjà traversés des obscurités, se remettent en route et l’étoile réapparaît pour s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouve l’enfant. Matthieu ajoute : les mages se réjouirent d’une grande joie !
Connaissant la fin de la vie de Jésus, le cheminement des apôtres et les débuts de la vie de l’Église, Matthieu introduit dès le début de son évangile, à travers la démarche des mages le cheminement de tout chrétien. A travers leurs offrandes, ils reconnaissent la vraie identité de l’enfant de Bethléem. Il est Dieu à qui on offre l’encens de la prière, il est Roi à qui on offre l’or précieux. Il est un homme destiné à mourir, à qui on offre la myrrhe de l’embaumement. Avoir suivi Jésus durant quelques années, prenant peu à peu conscience de sa divinité, ces expériences transformèrent les apôtres. C’est sans doute à cette conversion du regard que Matthieu fait écho lorsqu’il ajoute : les mages regagnèrent leur pays par un autre chemin. Le rencontre de l’Enfant Dieu les a bouleversés.
Éclairés par les Écritures revenons à la crèche réalisée par frère Beto pour en découvrir la dynamique et trouver réponse à nos questions.
Pourquoi ajouter des bergers et des mages si ces personnages renvoient à nous-mêmes ? Assemblée attirée par le Christ avec nos fragilités, nos limites comme les bergers ! Pourquoi ajouter des mages alors que, appelés par le Christ, nous aussi nous nous sommes mis en route avec nos questions, avec nos travers païens comme les mages. Si nous sommes venus, c’est parce que nous avons découvert que le Christ éclaire notre route comme une étoile ou comme un soleil dans la nuit du monde. Car la société est plongée dans les ténèbres du fait des violences, de la voracité à posséder et à dominer. Pour nous, la personne du Christ attire par sa justice, sa bonté jamais lassée.
Si la mangeoire présente en Luc est absente dans la crèche, n’est-elle pas remplacée par le mouvement de nos mains ouvertes recevant le modeste pain partagé, expression de l’amour du Christ ? Un Dieu qui se fait petit, qui non seulement s’incarne dans un petit enfant mais qui se fait pain de vie pour être accueilli et devenir nourriture pour tout homme, pour toute femme de toute race, de toute culture, de toute époque.
La fête de l’Épiphanie méditée à travers les Écritures et concrétisée à travers la crèche de frère Beto, me révèle, cette année, un Dieu nomade allant à la rencontre de tout humain, de tout l’humain. Avec les mages d’hier, réjouissons-nous d’être rejoints à cette profondeur par le Christ qui fait ressusciter et d’être associés par Dieu à son œuvre de salut pour l’humanité tout entière !
Inspiré de « Feu Nouveau » 63/1 . Octobre Novembre 2019
Fr. Jean Albert Dumoulin
Lectures de la messe :
Is 60, 1-6
Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13
Ep 3, 2-3a.5-6
Mt 2, 1-12