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Quand j’habitais à Saint-Hubert, nous étions quatre prêtres. Un doyen, deux vicaires et un professeur de religion que certains d’entre vous ont connu, à Louvain-la-Neuve ou au bout d’une flûte à bec, Henri Ganty. Quatre prêtres pour une paroisse modeste, on croit rêver. Je vous parle de l’autre siècle, c’est entendu, mais tout de même, il y a de cela moins de quarante ans. Assez vite, nous avons dû rendre service dans des paroisses environnantes, mais il nous arrivait encore d’être deux ou trois pour célébrer la même eucharistie. Alors, parfois, le samedi soir, si nous étions en nombre inutile pour la messe dominicale, l’un de nous traversait la rue et allait proposer ses services aux Sœurs de Notre-Dame, tout heureuses de pouvoir participer à l’eucharistie sans quitter leur couvent. C’est dans ces circonstances qu’une des sœurs, en faisant la première lecture que nous avons entendue tout à l’heure, a proclamé : « Le lion, comme le bœuf, mangera du fromage. » Je n’ai jamais pu l’oublier et ne vous étonnez pas si d’aventure vous apercevez que je ne peux pas réprimer un sourire quand j’entends ce beau texte d’Isaïe. Mais ce n’est pas pour cette anecdote que je vous raconte tout cela.

Les sœurs qui, de la sorte, avaient eu le privilège d’une messe à domicile, ne manquaient pas pour autant d’y retourner le dimanche, à l’église paroissiale. Elles y entendaient les mêmes lectures que la veille, mais une autre homélie, celle dont elles avaient été privées – ou dispensées – le samedi soir. Et elles pouvaient comparer. C’est ainsi que nous avons fini par savoir que, pour commenter l’évangile de ce jour, deux prêtres, à la même heure et à quelques mètres l’un de l’autre, ont défendu deux opinions diamétralement opposées.

Henri Ganty, de son côté, a montré qu’il y avait une parfaite continuité entre Jean-Baptiste et Jésus. Ils proclament exactement la même chose : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » Nous venons de l’entendre dans la bouche de Jean, au chapitre 3 de l’évangile de Matthieu. Jésus dira la même chose au chapitre suivant, pas un mot de plus, pas un mot de moins, comme une leçon bien apprise.

Mais au même moment, en face, je prétendais qu’il y avait une rupture entre la théologie de Jean et celle de Jésus. Jean-Baptiste disait : « Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne porte pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. » Théologie de la menace. Dans l’enseignement de Jésus, il y a aussi un arbre qui ne porte pas de fruit. Son propriétaire veut le couper – à quoi bon le laisser épuiser le sol ? ­–, mais son vigneron lui répond : « Laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. » Théologie de la patience et de la miséricorde. Voyez le cultivateur, nous dira Jacques la semaine prochaine, il attend les fruits précieux de la terre avec patience.

Alors, rupture ou continuité ? Henri Ganty avait sur moi l’avantage de trouver ses arguments dans le seul évangile de Matthieu, alors que, pour défendre mon point de vue, je passais à celui de Luc (13,6-9), ce qui est toujours discutable. Chaque évangile a sa cohérence propre et il vaut mieux essayer de le comprendre sans trop chercher ses informations chez le voisin.

Et pourtant … Je ne veux pas imposer mon opinion à tout prix, d’autant moins que le cher Henri Ganty n’est plus là pour défendre la sienne. Mais, sans quitter l’évangile de Matthieu, nous observerons bientôt que Jean-Baptiste lui-même a fini par comprendre que Jésus ne se contentait pas de lui emboiter le pas purement et simplement. Dès dimanche prochain, il lui enverra des disciples pour lui demander : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Il a bien dû entendre dire que Jésus a oublié d’emporter sa cognée.

Fr. François Dehotte

Lectures de la messe :
Is 11, 1-10
Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 12-13, 17
Rm 15, 4-9
Mt 3, 1-12

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