Dans un magazine pour indépendants, une publicité a attiré ma curiosité. Un bébé joufflu à l’air décidé et au regard dominateur lève les bras en signe d’attente affective et de victoire déjà acquise; la victoire consistant à mobiliser au maximum votre attention et à devenir ainsi le centre du monde ou du moins du foyer. Et, en dessous de cette photo, on peut lire cette petite phrase : » Qui est le roi ? » Cette annonce propose une aide aux parents travaillant en horaire décalé en vue de faire garder leur enfant. Et l’annonce continue en disant :
» Parfois le choix n’est pas simple parce qu’il faut choisir entre un client satisfait et un enfant heureux « .
Cette publicité joue donc sur deux expressions bien connues : » Le client est roi » et l’idée d’enfant roi. Pour obtenir un marché, on est prêt à se plier à bien des exigences du partenaire commercial et dans la vie de famille, l’incapacité de poser des limites peut transformer votre enfant en tyran domestique.
Ainsi, dans la notion même de roi plane inévitablement la possibilité de domination, d’abus de pouvoir, de jeu d’intérêts, … Par exemple, dans notre pays, nous trouvons le modèle d’un roi à la fois discret et présent au service de l’unité de la nation, soucieux des minorités et des pauvres, … malgré cela, apparaissent régulièrement dans la presse des critiques soulignant le coût de la famille royale pour la collectivité, avec le sous-entendu qu’on se passerait bien de cette fonction parasite aux yeux de certains. Les abus de quelques souverains du passé maintiennent la conscience en éveil, et déjà dans la Bible un courant de pensée était peu favorable à la royauté, du moins telle qu’elle était vécue dans les nations voisines d’Israël.
Pourtant ce dimanche, nous fêtons le Christ Roi de l’Univers. Quelle pourrait alors être la notion de royauté selon les vues de Dieu ? Nous trouvons un début de réponse dans les textes entendus ce matin. Relevons d’abord un détail de la première lecture : les tribus d’Israël disent à David : » Nous voici, ton os et ta chair … » Autrement dit, nous sommes du même corps, nous sommes solidaires parce que nous partageons la même chair. Cette expression nous ramène à la création de la femme à partir d’un côté d’Adam, plongé dans une torpeur et découvrant ensuite Ève comme son vis-à-vis, son aide appropriée, son avenir.
Cette étrange et profonde torpeur qui permet à Adam de découvrir en lui son côté féminin, on la retrouve en deux autres endroits de l’Ancien Testament. Lors de l’Alliance de Dieu avec Abraham, venant de redécouvrir sa femme, non comme sa princesse, mais comme princesse, c’est-à-dire comme sujet ; et lorsque Saül endormi est épargné par David, ce dernier préférant laisser la vie à son persécuteur dément parce qu’il porte la trace de l’onction du Seigneur.
Tous ces passages nous suggèrent que chacun d’entre nous est appelé à devenir roi ou reine et à bien choisir sa façon de l’être pour notre partenaire humain. À savoir : dans mon couple ou ma communauté, vais-je choisir d’être un roi dominateur, tyrannique et pervers ou une aide, un appui, un noble serviteur ? Dans la vie politique, vais-je cibler mes intérêts personnels au détriment de l’honnêteté et du droit ou découvrir le plaisir de se donner pour le bien commun. Et dans le domaine religieux, vais-je apprendre à mon prochain la liberté des enfants de Seigneur ou, au contraire, le dominer en déformant la Parole de Dieu et en l’utilisant à mes propres fins, ce qui est un vrai blasphème.
Jésus en croix, dans l’évangile, nous donne sa réponse ultime et définitive : le roi véridique est le berger qui perd sa vie pour rejoindre sa brebis la plus égarée afin de la faire entrer dans son Royaume, pour réconcilier en lui toute créature. Notre Roi est celui qui peut faire d’un bandit pendu au gibet le premier saint du paradis. C’est lui que nous servons …
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
2 S 5, 1-3
Ps 121 (122), 1-2, 3-4, 5-6
Col 1, 12-20
Lc 23, 35-43)