Ta foi t’a sauvé. Dans l’évangile de Luc, Jésus dit cette parole à quatre personnes. On peut noter au passage que l’évangile de Jean n’utilise jamais le mot foi. Il emploie le verbe correspondant, croire, abondamment, plus à lui seul que les trois autres évangiles réunis, mais jamais le mot foi. Peut-être pour suggérer que la foi est une action, une démarche. Et en effet, quand Jésus dit à quelqu’un que sa foi l’a sauvé, c’est toujours à une personne qui s’est remuée, qui a fait l’effort de venir jusqu’à lui ou au moins de lui adresser la parole.
Les trois premiers évangiles racontent la même histoire, avec plus ou moins de détails : pendant que Jésus se rend au chevet d’une fille mourante, une femme vient toucher son vêtement. Elle croit que ce simple contact va la guérir de ses pertes de sang. Et ça marche ! Marc et Luc précisent que Jésus se rend compte qu’une force est sortie de lui. Il cherche dans la foule qui l’a touché et, quand il l’a trouvée, il dit à la femme : » Ta foi t’a sauvée. » On dirait qu’il veut lui signifier : Ne me remercie pas, je n’y suis pour rien, tu as fait tout le travail toi-même, c’est ta foi qui t’a sauvée, en self-service.
Selon Marc et Luc, Jésus dit aussi que sa foi l’a sauvé au mendiant aveugle de Jéricho. Autant la femme avait espéré pouvoir agir en toute discrétion, autant l’aveugle cherche à se faire remarquer. Il entend que Jésus passe sur la route, il l’appelle. On veut le faire taire, il n’en crie que plus fort. Jésus s’intéresse à lui et lui demande ce qu’il veut. On attend la réponse la plus probable, de la part d’un mendiant : » Vous n’auriez pas une petite pièce, c’est pour manger. » Mais non, cet homme aveugle demande l’incroyable : » Que je retrouve la vue. » Il a cru l’incroyable et sa foi l’a sauvé.
Avant chacun de ces deux épisodes, Luc rapporte une autre rencontre. Une autre femme, avant la première femme. Un autre homme, avant le mendiant aveugle.
L’autre femme, c’est la pécheresse, celle qui s’approche de Jésus pour lui laver les pieds de ses pleurs et les essuyer avec ses cheveux. On a souvent compris que ses péchés lui avaient été pardonnés parce qu’elle avait montré beaucoup d’amour. Mais un examen attentif du récit et de la parabole que Jésus raconte en cette occasion montre à suffisance qu’il faut comprendre le contraire : quand cette femme entre chez le pharisien pour s’approcher de Jésus, elle a déjà reçu le pardon de ses nombreux péchés, et c’est pour cela qu’elle montre tant d’amour. Ici encore, Jésus semble dire à la femme : Tu es sauvée parce que tu as cru au pardon, parce que tu n’as pas désespéré de la miséricorde. C’est ta foi qui t’a sauvée.
L’autre homme, c’est notre Samaritain. Et il est peut-être le plus étonnant des quatre. Justement parce qu’il est Samaritain. Les trois autres partageaient la foi de Jésus. Comme d’ailleurs les neuf autres lépreux. S’ils ne sont pas revenus pour dire merci, ce n’est pas, sans doute, parce qu’ils étaient particulièrement ingrats. Mais ils croyaient qu’ils avaient été sauvés par Dieu lui-même, en raison de leur foi. En bons Juifs, ils s’étaient adressés, de loin, à une espèce de rabbin itinérant. Il avait réagi en bon Juif, connaisseur de la Loi de Moïse : » Allez vous montrer au prêtre. » Ils avaient obéi, ils étaient purifiés, c’était dans l’ordre des choses. Leur action de grâce montait vers Dieu seul, Jésus n’était à leurs yeux qu’un intermédiaire qui avait bien fait son métier, ils n’avaient pas de raison de revenir vers lui. Mais le dixième, l’étranger, l’hérétique, comment avait-il pu croire qu’il ne serait pas rejeté, qu’il pourrait avoir sa part de salut ? Tu as vu juste, semble lui dire Jésus. Ta foi n’est pas la mienne, mais telle qu’elle est, elle t’a sauvé. Car le cœur de Dieu est plus grand que nos chapelles.
Fr. François Dehotte
Lectures de la messe :
2 R 5, 14-17
Ps 97 (98), 1, 2-3ab,3cd-4
2 Tm 2, 8-13
Lc 17, 11-19