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Frères et sœurs,

Que voilà de beaux textes en ce mois de la mission !

« Tu vas mettre par écrit une vision, clairement » – « Prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile » – Et à la fin, quand tu auras fait tout cela, dis : « Nous sommes de simples serviteurs »…

Oui, voilà de bien beaux textes mais qui ne concernent, n’est-ce pas, que celles et ceux qui ont choisi d’être missionnaires. Ou prêcheurs. Ou encore, diacre, catéchiste – bref, des hommes et des femmes qui ont pour mission d’évangéliser. Quant au reste du peuple de Dieu, il est ardemment invité à prier pour soutenir les chargés de mission et pour qu’il y en ait davantage.

Parole du Seigneur, avons-nous dit, après avoir entendu ces textes.

Ainsi donc, la Parole du Seigneur serait sélective ? Adressée à quelques-uns, quelques-unes plus particulièrement, tout comme Paul s’adresse à Timothée ? Cette Parole serait parole de vie, d’encouragement, de salut pour une catégorie de croyants, les autres se contentant de prier pour qu’elle soit reçue ?

Je ne le pense pas.

Nous sommes aujourd’hui, tous ensemble, l’église de Jésus Christ réunie à Wavreumont (pour parler comme St Paul). Et la Parole que nous venons d’entendre c’est à chacune, à chacun d’entre nous et à nous toutes et tous en tant que communauté, en tant que « corps du Christ » qu’elle s’adresse. Entendre cette Parole aujourd’hui, ici et maintenant, c’est consentir d’abord à un déplacement intérieur, à une conversion. La conversion, dans la Bible, ce n’est pas l’adhésion à un contenu religieux, c’est une metanoïa, un bouleversement du cœur, une mise en route aussi radicale que celle d’Abraham quittant ses certitudes.

Aujourd’hui, entendant cette parole, nous sommes Habacuc le prophète, nous sommes Timothée le disciple, nous sommes les disciples auxquels Jésus s’adresse. Mais nous ne vivons plus dans leur monde, dans leur époque, dans leur culture ! Comment pourrions-nous reproduire ce qu’ils ont fait ? Et puis tous les fidèles ne sont pas appelés à annoncer l’Évangile !

Mais si. Précisément parce qu’ils sont des « fidèles », c’est-à-dire les héritiers directs d’un trésor qui ne saurait se perdre.

La fidélité, ce n’est pas reproduire du même au même. La fidélité, c’est d’abord essayer de percevoir finement ce qui se donne à entendre dans une Parole qui a traversé les âges et leurs vicissitudes. La fidélité, c’est ensuite de consentir à ce que cette Parole nous transforme comme elle a transformé les prophètes et les disciples. La fidélité, c’est enfin de vivre en humains fécondés par cette Parole, c’est aller là où elle nous emmène.

Qui de nous, à certaines heures, ne peut faire le constat qui est celui d’Habacuc : « Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent »… Qui ne nous, parent, grand-parent, enseignante, prêtre, religieux n’a pas éprouvé ce sentiment de découragement et de désarroi, qui sont des souffrances, face à l’indifférence du monde à la Parole ? Qui n’a ressenti, à un moment, qu’annoncer l’Évangile c’est être une voix qui crie dans le désert ? Quels que soient notre situation, notre âge, nos lieux d’engagement, nous sommes Habacuc, Paul, Timothée, les disciples de Jésus. Nous sommes toutes et tous, chacune et chacun, appelés à… évangéliser

Évangéliser (eu-angelleïn, en grec), ce n’est pas donner un cours de théologie, ce n’est pas énoncer des vérités, ce n’est pas proposer un contenu auquel il faudrait croire. Évangéliser, c’est offrir une parole qui fait du bien, qui guérit, qui relève, qui dit à l’autre : Il est bon que tu existes. Tu as du prix à mes yeux. Et parfois, évangéliser, c’est ne parler ni de Dieu, ni de Jésus Christ, ni de l’Église ; c’est être soi-même heureuse annonce, être soi-même parole de vie pour la vie de l’autre. C’est être amour en acte, présence offerte. C’est être corps du Christ ici et maintenant, dans le monde tel qu’il va – et surtout quand il ne va pas. C’est être corps du Christ pour tous nos frères et sœurs humains tels qu’ils sont – et surtout quand leur existence est défaite, humiliée, bafouée.

Cela n’est pas réservé aux prêtres ni à celles et ceux qui ont choisi de servir l’Évangile. Si nous sommes ici, c’est – on peut le croire – parce que nous sommes toutes et tous, chacune et chacun, serviteurs de la Parole. Porte-parole, présences incarnées de la tendresse de Dieu qui veut que tous les humains soient vivants de sa vie.

C’est pourquoi, lorsque le Seigneur réconforte Habacuc en l’assurant que « la vision tendra vers son accomplissement et ne décevra pas », c’est son Souffle qui conforte notre espérance mise parfois à rude épreuve dans notre monde. Lorsque Paul assure que « ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour, de pondération », c’est le Souffle de Dieu qui « réenflamme » notre courage parfois défaillant. Et lorsque Jésus invite ses disciples à se considérer comme de simples serviteurs, non indispensables, c’est moi, c’est vous, c’est nous qu’il prémunit contre la tentation (pas si rare dans nos paroisses et communautés) de se croire, précisément, indispensable.

Chacune et chacun, nous sommes envoyés (« missionnés »), c’est-à-dire invités à travailler à la transformation du monde. Tout le temps. Partout. Dire cela, ce n’est pas amoindrir d’un iota la valeur de l’engagement de ces hommes et de ces femmes qui consacrent leur vie à l’annonce explicite de la Bonne Nouvelle. Mais c’est réenflammer « le don gratuit de Dieu, ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains ». Vous n’avez pas reçu l’imposition des mains de votre évêque ou d’un supérieur de communauté ? Vous avez été probablement baptisés et cette plongée dans la vie de Dieu, elle vaut sans aucun doute toutes les consécrations humaines.

Ce qui nous manque, frères et sœurs ? Presque rien. Juste un peu de foi (gros comme une graine de moutarde, ou un petit pois). C’est-à-dire un minimum de confiance en le don qui nous a été fait, chacune et chacun à notre mesure. Au temps des prophètes, au temps de Jésus, au temps de Paul, c’était déjà le cas. Mais la Parole a continué d’être annoncée et vécue, envers et contre tout. Par des missionnaires et par des fidèles qui n’ont jamais quitté leur quartier. Par des géants de la foi et par des nuées de petites fourmis anonymes.

La Parole, qui est annonce de vie et de bonheur, elle est entre nos mains.

Il n’y a pas de serviteurs inutiles. D’ailleurs, dira Jésus, « je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis parce que tout ce que j’ai entendu auprès de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis et je vous ai chargés d’aller, de porter des fruits et des fruits durables. Alors le Père vous donnera tout ce que vous lui demanderez en mon nom. » (Jn 15, 15-16).

Frères et Sœurs, croyons-nous, croyons-nous vraiment à cette Parole ?

Myriam Tonus

Lectures de la messe :
Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4
Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9
2 Tm 1, 6-8.13-14
Lc 17, 5-10

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