Qu’est-ce que la liberté ? Beaucoup de gens reconnaissent en Jésus un être libre et pourtant l’illustration la plus commune pour le représenter en occident est la croix ou le crucifix: un homme, pieds et poings fixés au bois d’un supplice. Paradoxe étonnant qui nous fait dire que Jésus sait vers où il va même au-delà du vertige du dépouillement et de la mort.
En effet, l’Évangile nous rappelle qu’il a un objectif et qu’il le poursuit avec détermination et courage. Il choisit librement de prendre la direction de Jérusalem, sachant que cela signifie la pleine révélation de l’Amour du Père en passant par la croix.
Sur ce chemin, il est semeur de vocations à embrasser sa cause pour la gloire de Dieu. A l’écoute de cet appel, comment pouvons-nous réagir selon l’évangile:
Dans la démarche de liberté, nous trouvons d’abord la possibilité et la capacité de dire non: » On refusa de le recevoir parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. » Le Christ ne veut pas de la théocratie qui tente Jacques et Jean: imposer l’idée qu’on a de Dieu aux autres, ce qui n’est pas Dieu mais l’illusion qu’on s’en fait. Il refuse lui aussi cette idolâtrie. Pour être libre, il faut avoir la possibilité de refuser, de dire non.
Le deuxième cas de figure pourrait presque relever de la présomption: » Je te suivrai partout où tu iras. » Allusion à la témérité de Pierre avant la passion comme à la fidélité audacieuse de Ruth qui tient à suivre sa belle-mère malgré le peu de perspective d’avenir de cette option. La liberté convoque en nous notre plus grand désir de vivre sans oublier la prudence de la connaissance de soi et ses limites.
Le troisième cas de figure est la fascination pour ce qui est fini et mort. J’entends que tu m’appelles; je veux bien te suivre, mais je suis retenu en arrière comme prisonnier du passé. Souvenons-nous ici de la femme de Loth transformée en statue de sel parce que son regard ne pouvait se détacher de Sodome en flammes.
Et enfin, nous avons la réponse conditionnelle: Je te suivrai, mais il y a un MAIS, et toutes sortes de bonnes raisons pour retarder la décision.
La première lecture illustre bien l’enjeu de la liberté dans la façon de répondre à un appel dans l’histoire d’Élie et d’Élisée. » Tu consacreras Élisée, fils de Shafate, comme prophète pour te succéder. » Dans cette simple phrase, on découvre la force libératrice d’appeler quelqu’un par son nom. Le nom nous permet de nous identifier, de nous distinguer des autres, de nous découvrir unique et pourtant nécessairement en lien avec nos semblables. Elie n’est pas Elisée, il y a là deux noms proches et pourtant différents, deux manières de mettre en œuvre sa liberté, deux manières de répondre. » YHWH est El » et » Dieu sauve ». Ensuite la filiation » fils de Shafate… » Connaître et appréhender notre origine permet de réaliser que nous avons reçu un fondement sur lequel nous appuyer pour devenir autonome et ne pas nous enfermer dans le passé. Et enfin un projet, » … comme prophète pour te succéder. » Le projet est inscrit dans le nom, mais il faut encore l’accomplir en prenant la direction de l’avenir, la direction de Jérusalem avec sa lumière et sa nuit.
Qui ? D’où ? Vers qui ? Si la confiance, autrement dit la foi, est la corde qui nous assure dans cette ascension de questionnements, nous pouvons apprendre la vraie liberté.
Et pour Paul, elle est d’abord l’invitation à laisser derrière nous ce qui nous enfermait. Là, un nouveau principe nous est donné: ne plus répondre aux sollicitations de notre ego (dominer, plaire, briller, vaincre, être fort contre,…), mais prendre Jésus comme principe de service réciproque capable de faire passer le vivre ensemble de l’enfer à la joie. L’enfer, c’est la rivalité sans limite et la destruction mutuelle. La joie, c’est la liberté de l’amour. Arrive le temps de transcender l’opposition de la chair et de l’esprit en en faisant les deux montants d’une même harpe où l’Esprit de sainteté vient jouer la mélodie unique de notre vie offerte. La voici la liberté: » Dieu, mon bonheur et ma joie. »
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
1 R 19, 16b.19-21
Ps 15 (16), 1.2a.5, 7-8, 9-10, 2b.11
Ga 5, 1.13-18
Lc 9, 51-62