Je me suis souvent demandé pourquoi l’évangéliste précisait la signification du nom de Thomas dans ce récit, à savoir » jumeau « .
Désigner un jumeau, c’est en appeler un autre. Être jumeau, c’est travailler son image dans celle de son frère; et certaines fratries de ce type poussent le raffinement en s’habillant à l’identique: l’autre est alors mon image jusqu’au moindre détail, et pourtant … quand on les connaît un peu ces deux-là, on sait qu’ils ont des caractères tout à fait différents et ne s’entendent pas sur grand-chose si ce n’est le fait qu’ils ont besoin l’un de l’autre et sont inséparables ou presque …
Dans le premier testament, les jumeaux par excellence, c’est Jacob et Esaü qui rivalisaient dès le sein maternel. Jacob est l’homme de l’intériorité qui demeure sous la tente pour prier, étudier, méditer, et Esaü a besoin d’ouverture pour courir, parcourir, chasser, galoper, …
Dans notre évangile, Jésus semble réconcilier ces deux tendances opposées : les apôtres sont à l’intérieur de la maison, comme Jacob-Israël et Jésus les y rejoint en leur donnant sa paix, mais il les incite à sortir : » Moi aussi je vous envoie… » et Thomas représente Ésaü qui ne sait pas rester en place et parcoure les rues de Jérusalem pour gérer son angoisse. Jésus l’appelle au mouvement inverse, entrer dans l’intériorité du mystère : avance, vois et mets ta main à l’intérieur, comme s’il disait » Entre en toi-même et vois … »
Les deux portes de l’enfer brisées par Jésus sont ici la peur et l’incrédulité. Pour sortir de la peur, il faut l’expérience du renouvellement d’une Présence qui rétablit la confiance. Les clefs qui servaient aux apôtres à s’enfermer dans leur effroi deviennent dans les mains du Christ ressuscité au livre de l’Apocalypse, les clefs de la mort et du séjour des morts, c’est-à-dire les clefs qui nous font sortir de la peur d’être niés à tout jamais pour nous ouvrir à une Présence qui nous établit dans une relation éternelle.
Pour sortir de l’incrédulité, il convient de quitter les préjugés de nos raisonnements et de nos représentations pour vivre une expérience personnelle. Thomas n’a pas tort d’être en attente d’une expérience personnelle pour croire. La foi ne se résume pas à adhérer à des mots ou des formules, même celle qui est proclamée à Pâques: » Le Christ est ressuscité « . Cette formule doit encore entrer dans ma vie et la bouleverser. Thomas marchait en effet dans les rues de Jérusalem comme un jumeau qui a perdu son frère et qui erre à sa recherche. Il avait trouvé en Jésus son alter ego, celui que son coeur désirait au plus profond. On imagine le vide des premiers jours sans lui. Dans la rencontre unique et particulière de Thomas et de Jésus ressuscité se produit la libération et la réconciliation. D’un événement personnel qui ne se répétera plus, Thomas nous fait accéder à la Vérité universelle à laquelle nous pouvons croire sans avoir vu dans ce cri » Mon Seigneur et mon Dieu « .
De même, comme par un renversement, le signe particulier de montrer ses plaies et de les constater en les touchant, sort du secret et se démultiplie dans la première lecture où une multitude, l’humanité en somme, présente ses souffrances au regard et au passage de celui qui poursuit l’œuvre de Jésus, Pierre, lÉglise, c’est-à-dire nous.
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
Ac 5, 12-16
Ps 117 (118), 2-4, 22-24, 25-27a
Ap 1, 9-11a.12-13.17-19
Jn 20, 19-31