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Frères et sœurs, nous célébrons cette eucharistie ensemble au cœur d’une rencontre qui réunit ici, au monastère, des hommes et des femmes de tout bord et de toute part , en y incluant le Pérou où je vis. Une inquiétude commune, devant la tournure que prend le monde d’aujourd’hui, les rassemble. Se refusant à la résignation pure et simple généralisée, ils cherchent à penser une autre société. Leur rêve : passer « d’un monde commun à un monde en commun. »

Mais ils ne sont pas là seulement pour penser en l’air. Ils cherchent surtout à montrer ce qui se fait déjà, chez nous et ailleurs, à petit échelle certes, mais réellement. Surtout, ils nous proposent d’adopter résolument de nouvelles attitudes. C’est infime, c’est ridicule, je le sais ! Et pourtant, la Parole, ce matin, nous encourage fortement à poursuivre dans cette voie, qui semble bien être la folie même de Dieu.

Les trois lectures nous parlent de brisures, de distances, de cette immense solitude des peuples abandonnés par leurs pasteurs. Nous ne pouvions espérer textes plus suggestifs pour contempler le drame humain qui crie de partout aujourd’hui. Mais surtout, ces lectures nous frappent en plein visage pour nous lancer un défi : changer nos plans confortables, comme durent le faire Jésus et ses disciples face aux brebis sans pasteurs qui les avaient devancés au lieu de leur impossible retraite. Changer nos projets et nos priorités, pour passer résolument du « privé » au « public », de ce qui ne concerne que nous (l’individualisme crasse) à ce qui nous concerne tous (la solidarité active).

Jérémie dénonce une crise de leadership où les élites ne pensent plus qu’à elles-mêmes et laissent le peuple à la dérive. Comment ne pas voir ici la panique de nos gouvernants face à l’assaut des pauvres, venus du Sud, que nos propres civilisations du profit et de violence ont engendrés ? Face à cette débâcle, le Dieu d’Israël propose de recommencer tout en bas, avec les plus petits, les pauvres de Yahvé. C’est le temps du « petit reste » d’où surgiront de nouveaux pasteurs selon le cœur de Dieu. Tel est notre pari fou comme disicples de Jésus : repartir d’en bas, et tout à la fois d’en haut, c’est-à-dire du primat de la mystique.

Ce pari fou, saint Paul nous le présente de manière étonnante. Dans le contexte qui est le nôtre, le grand songe chrétien de rassembler, en un seul peuple, ceux qui viennent de loin et ceux qui étaient proches, en démolissant tous les murs de la haine, fait figure de subversion. C’est à en avoir le souffle coupé au regard des murs de la honte, du grand cimetière marin qui nous sépare, des retours affolants des suprématismes raciaux et religieux de tout poil. Impossible de fuir sous de faux prétextes ! Cette parole, si nous la mettons en pratique, est une menace insupportable pour la grande religion de l’égoïsme universel qui règne parmi les maîtres de ce monde et ceux qui les élisent.

Ô qu’il est beau et brûlant l’évangile de ce jour ! Simple réponse aux grandes questions posées par nos deux premières lectures ! Devant le déferlement des foules inattendues, Jésus n’attend pas une seconde. Il change de projet et, en se laissant simplement toucher par l’humaine détresse, il commence, tout de suite, à accueillir.

C’est aussi là qu’il nous attend. Quels que soient les risques de la transgression chrétienne (Kierkegaard dirait du « scandale chrétien »), c’est l’heure de l’infime, du petit reste qui subvertit l’histoire. Après des siècles de bienséance chrétienne dans la société occidentale, il est temps, comme le dit et le fait le pape François, de faire du bruit, d’être radicalement à contrecourant de cette société déshumanisée. Il faut commencer tout de suite. Nous ne sommes qu’une infime minorité, mais cela suffit, nous dit le prophète !

Fr. Simon-Pierre Arnold

Lectures de la messe :
Jr 23, 1-6
Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
Ep 2, 13-18
Mc 6, 30-34

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