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Pierre avait suivi Jésus à distance, jusqu’à l’intérieur du palais du grand prêtre, et là, assis avec les gardes, il se chauffait près du feu. Marc écrit plus précisément – et un peu bizarrement : « Il se chauffait à la lumière. » L’expression semble maladroite, alimente le préjugé qui voit en Marc un écrivain de seconde zone, et la traduction se sent obligée de corriger sa copie : il se chauffait près du feu, à la flambée. La correction peut se justifier : dès la période classique, le mot grec qui désigne la lumière en est venu à désigner aussi le feu. Cela vient de l’usage que l’on fait du feu : on s’en sert pour chauffer et pour se chauffer, mais aussi pour éclairer. Dans l’Antiquité, il n’y a pas de lampe sans feu. D’ailleurs, nous disons encore allumer le feu. On ne fait pas de feu sans faire de lumière.

Mais l’expression de Marc reste un peu surprenante : il se chauffait à la lumière. Cela me rappelle un réfugié croate qui a vécu chez moi quand j’habitais à Saint-Hubert. Dès que le temps commençait à fraîchir, je lui proposais de faire du feu. Mais il me répondait que ce n’était pas encore nécessaire : il allumait la lampe et se chauffait à l’ampoule.

La version œcuménique note qu’il y a peut-être là une erreur de traduction d’un mot hébreu qui pouvait être lu feu ou lumière. Mais Marc ne rédige pas son évangile à partir d’un texte hébreu. Et puis, je ne suis pas certain qu’il y ait là une erreur. Je crois plutôt que Marc sait très bien ce qu’il écrit, avec cette finesse que les commentaires lui reconnaissent trop rarement. Pierre s’approche de la flamme pour se chauffer, sans penser qu’il se met du même coup dans la lumière. Le feu lui joue un mauvais tour. C’est à cause de lui que la servante va l’identifier, comme le précisera Luc : Une servante, le voyant assis à la lumière du feu, le dévisagea (22,56). Le feu de Pierre est un mauvais compagnon. Il le réconforte pour mieux le piéger, il lui donne plus de lumière que de chaleur.

Somme toute, à cette heure, tout le monde trahit. Judas, bien entendu, mais aussi tout le reste. Dans l’évangile de Marc, Jésus accueillait les enfants par un baiser ; le baiser de Judas le désigne à ses adversaires. Jésus posait la main sur les affligés pour les soulager ; on met la main sur lui pour l’arrêter. Jésus saisissait la main des malades et des morts pour les libérer de leurs maux ; on se saisit de lui pour le faire prisonnier. Jésus avait craché sur les yeux de l’aveugle pour qu’ils voient ; on va lui couvrir le visage pour qu’il ne voie pas qui lui crache dessus. Pierre est trahi par le feu qui l’éclaire au lieu de le chauffer, par son accent galiléen, et plus encore par la tournure inattendue des événements. Jésus l’avait bien mis en garde, mais il n’avait jamais réussi à y croire. Il renie son maître, parce qu’il se sent trahi, parce que rien ne correspond à ses projets et à ses espérances.

Fr. François Dehotte

Lectures de la messe :
Jn 12, 12-16
Is 50, 4-7
Ps 21 (22), 8-9, 17-18a, 19-20, 22c-24a
Ph 2, 6-11
Mc 14, 1 – 15, 47 (Passion selon saint Marc)

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