Saint Paul n’est-il pas cet incorrigible exalté qui n’hésite pas à brûler les étapes pour arriver au but qui le motive constamment : le Christ ?
Ne met-il pas la barre un peu haut en risquant de discréditer le mariage ? Serait-il naïf en pensant qu’il suffit de n’être point marié pour avoir le souci des affaires du Seigneur ? Mais tout cela n’est peut-être qu’une impression.
Son but est de nous voir libres de tous soucis; et en bon connaisseur de la Torah, il sait que l’écoute des commandements nous rend libres, vivants et heureux. Ces trois choses sont liées et peuvent nous aider à discerner notre chemin de croissance humaine. Dans le Seigneur, la liberté est liée au bonheur et à la plénitude d’exister. Deuxièmement, il ne veut pas nous voir divisés, fractionnés, par la préoccupation de répondre à des sollicitations, des attentes contradictoires, le souci de répondre à des attentes projetées sur nous. Pas question donc d’être des humains à tiroirs: l’un pour le travail, l’un pour la vie affective, un autre pour la vie spirituelle… L’autorité de saint Paul nous appelle à l’unification à l’image de Dieu qui est Un.
» Je ne veux pas vous tendre un piège… » S’il le dit, c’est qu’il y a un risque, et même un double piège ou plus exactement un filet , une corde qui se resserre et nous empêche de respirer convenablement: d’un côté le lacet étouffant de toujours vouloir se concilier la bienveillance d’autrui ou de se justifier sans cesse pour pouvoir exister; d’autre part se voir manquer d’air en faisant de Dieu une obsession, un œil qui nous regarde pour nous juger sans nous laisser aucun répit. » Détourne ton regard que je respire ». Dans les deux cas, nous idolâtrons de fausses images de l’autre humain et de l’autre divin.
L’important est de nous recentrer sur le vrai Dieu en cherchant à nous laisser sanctifier par lui dans notre corps et dans notre esprit, en le priant, en l’écoutant dans sa Parole, en célébrant sa bonté. Le corps, c’est la lettre et l’esprit, c’est le sens qui illumine. L’esprit a besoin du corps pour prendre forme sinon il n’est que feu de paille dont la brûlure nous illusionne. Et le corps sans l’esprit est comme un aigle à qui on a coupé les ailes, un pont qui n’atteint jamais l’autre rive…
Aller à Dieu sans le corps, sans la médiation, sans le médiateur qu’est Jésus, c’est mourir. Entre le rêve d’un enfant de devenir pilote de chasse et le premier vol aux commandes d’un appareil, il y a une infinité de patience, de travail, d’apprentissage, d’intermédiaires et de rencontres. La théophanie de l’Horeb est trop forte pour notre petite âme, nos pauvres yeux et nos oreilles, mais par contre quand les scribes et les faiseurs d’homélies s’empêtrent dans les tergiversations et les subtilités de l’écrit, ils ne nous dynamisent pas en Dieu. En quoi consiste l’autorité de Jésus ? Sûrement pas en celle d’un enseignant sévère qui se fait craindre. Jésus est dans l’autorité parce qu’il nous fait grandir à notre rythme là où nous en avons besoin. Et parce qu’il est le Verbe, l’Ecriture incarnée, il vient nous déchiffrer. « Nous avons à nous laisser interpréter avec autorité par l’Ecriture » dit Jean-Louis Chrétien. Cela veut dire un long travail d’interprétation et de maturation. Cet homme tourmenté est mis à nu par Jésus en dévoilant cette tentation qui nous habite peut-être tous de faire du Seigneur une idole ou un rival. Ainsi saint Paul est-il cet exalté dont nous parlions tout à l’heure ? Rappelons-nous qu’il fut saisi par le Christ, qu’il s’est laissé interprété avec autorité par lui, son frère, son pédagogue et son Seigneur.
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
Dt 18, 15-20
Ps 94 (95), 1-2, 6-7abc, 7d-9
1 Co 7, 32-35
Mc 1, 21-28