Noël est maintenant à nos portes… Quelques heures nous séparent du moment tant attendu. La liturgie des derniers jours de l’Avent s’accélère, rassemblant en un surprenant bouquet les grands personnages qui annoncent et hâtent la venue du grand événement. Tous sont là : Elie, Jean-Baptiste, Marie, bien sûr, Elizabeth et Zacharie, Joseph, et la voix consolatrice du vieil Isaïe, rythmant les premiers pas du retour d’exil, et la bien-aimée du Cantique des Cantiques, qui sort dans la nuit à la poursuite de celui qu’elle aime, et David, le roi qui voulait construire pour son Dieu une maison, mais qui devait apprendre que c’est Dieu lui même qui s’en chargerait, optant pour une demeure de chair, non de pierre, de vie, de fécondité, de nouveauté et d’espérance.
Car manifestement, notre Dieu a un problème avec les maisons : ce n’est pas un Dieu très casanier, il aime plutôt, dirait-on, le plein air et les chemins. Ce qui est trop figé ne l’attire pas beaucoup. On le voit se promener dans un jardin. Celui qu’Abraham accueille est un pèlerin qui vient d’on ne sait où et qui s’en va sans dire où il va. Moïse le découvre dans un buisson. Il préfère la tente, comme celle que les fils d’Israël vont lui dresser dans le désert, pour marcher, d’étape en étape, avec ceux qu’il aime, sur le difficile chemin de la rencontre et de la liberté. Il est mobile et léger.
Jésus l’a bien compris : n’est-il pas né dans une étable, loin de la maison familiale ? Il dira lui-même qu’il n’a pas de lieu où reposer la tête. Lorsqu’on lui demande où il demeure, il répond par une échappatoire. Il parcourt tout le pays sans s’établir nulle part. Jésus est un homme du chemin, une sorte de routard, à l’image du Dieu de l’Alliance, compagnon des pérégrinations de son peuple, de ses exils, de ses quêtes, extérieures comme intérieures, mais, paradoxalement, impossible à retenir ni à fixer…
Et pourtant, ce Dieu-là est soucieux de trouver un lieu pour lui. Pour lui, vraiment ? Notre Dieu, perpétuellement en recherche de l’homme, souhaite construire un espace de rencontre, de voisinage et même de fête. Le lieu qu’il choisit n’a aucun sens s’il n’est pas d’abord invitation au rendez-vous, à l’ouverture mutuelle, à l’amitié.
Les mots que la Bible retient pour désigner la résidence divine, sont à cet égard, très significatifs. La demeure ambulante que vont construire les fils d’Israël dans le désert, porte le nom de « tabernacle », selon les traductions. En hébreu, cela parle de voisinage, de convivialité. Il s’agit d’une certaine proximité, entre personnes qui à priori ne se connaissent pas mais qui vont essayer de créer entre elles de bonnes relations, une certaine entraide, de la solidarité et, qui sait, de la confiance et de l’amitié. Un voisinage de qualité est une valeur, une expression heureuse d’une communauté humaine, et notre Dieu exprime ainsi son souhait d’en être partie prenante, lui aussi. Ce n’est pas garanti, bien sûr, mais on va essayer, n’est-ce pas ? Une chose à la fois. Comme on dit : le plus long voyage commence par le premier pas.
Bien des générations plus tard, à Jérusalem, le roi Salomon s’attellera à la construction d’un temple de pierre, digne demeure convenant mieux, à ses yeux, que la vieille tente poussiéreuse d’autrefois. Remarquons que la première pièce de cette nouvelle demeure porte le nom significatif de « devir », que nos traducteurs rendront par le mot « saint », mais qui exprime plutôt la racine du verbe « parler ». Cette salle, devant le fameux rideau la séparant du « saint des saints », est meublée du bien connu candélabre à sept branches, d’un autel à parfums et d’une table où sont quotidiennement présentés douze pains, pour chacune des douze tribus d’Israël. Chacun de ces objets symboliques exprime, en fait, différents aspects du dialogue d’intimité que le peuple construit avec son Dieu. La lumière, les parfums, la nourriture : nous venons à la rencontre avec ce qui brille au fond de nos cœurs, avec tout ce que nous aimons sentir, avec ce qui nous nourrit. Trois critères intéressants pour se parler, ne trouvez-vous pas ?
L’ensemble du temple porte aussi le nom de « maison du choix ». Le choix de Dieu, tout d’abord, qui ne veut pas rester inaccessible, lointain, hors de portée, dans un beau ciel étoilé, sans doute, mais insensible à la peine des hommes. Notre Dieu n’est pas indifférent. Il opte pour la proximité. La maison du choix, c’est aussi celui de l’homme, ce qui brûle en lui, ce qui exprime la profondeur de son existence, ce qui fait de lui quelqu’un d’unique, ce qui porte et qui transmet la vie, ce qui donne sens. Notons que ces deux choix, finalement, se trouvent, s’accordent et se fécondent mutuellement : pouvons-nous avoir accès à ce que nous sommes en vérité, sans l’autre, sans le Tout Autre qui ne cesse de nous appeler et de nous dire combien il nous aime ?
Enfin, si nous relisons le petit psaume 127, nous découvrons ce qui occupe le centre de la maison. : Nous penserions peut-être, et particulièrement en hiver, au foyer, qui dans notre culture sert aussi à désigner toute la demeure. Au Moyen Orient, où le problème n’est pas le froid mais l’excès de chaleur, on voit les choses autrement. Au cœur de la maison se trouve la table, qui réunit la famille, les amis, les invités, autour d’une tasse de thé et d’un gâteau au miel, pour une de ces confrontations amicales dont le monde juif a le secret.
Aujourd’hui, Jésus s’approche. Il dit le choix de Dieu, de se faire si intime de notre humanité qu’il en prend la chair même. Il dit son désir de s’asseoir à notre table. Comme tous les bons invités, il apporte ce qu’il faut pour la fête, son pain, tout ce qui le nourrit, et le vin de sa joie et de sa vie. Veillons : dans quelques instants, sa main amie frappera à notre porte, et nous pourrons lui dire : « entre, c’est ta maison ».
Fr. Étienne Demoulin
Lectures de la messe :
2 S 7, 1-5.8b-12.14a-16
Ps 88 (89), 2-3.4-5.27.29
Rm 16, 25-27
Lc 1, 26-38