Voilà encore une parabole. Comme on le sait celle-ci est une parole en roue libre, poétique, faite de comparaisons et de métaphores. Si elle s’enracine dans un contexte bien particulier, elle en est cependant détachable. Et ne faut-il pas qu’elle le soit pour nous rejoindre encore aujourd’hui ? Dans son contexte immédiat, notre parabole se rattache au christianisme naissant, celui qui est marqué par la séparation, la rupture entre les disciples de Jésus et le judaïsme de leur temps. On peut donc lire et interpréter la parabole à ce niveau, à partir de ce contexte.
Mais comment nous rejoint-elle aujourd’hui ? Comment son langage va-t-il nous concerner ? On pourrait donc essayer de l’interpréter autrement.
Il est possible de lire cette parabole de la vigne comme une parabole de la vie, de chaque vie, avec ce qu’elle a d’unique. Mais aussi comme une parabole sur la vie du monde, la vie collective. Comme on le sait, une vigne implique beaucoup de soin, elle ne pousse pas n’importe comment et les raisins ne viendront pas sans des tâches multiples et la parabole le dit en clair : le propriétaire plante une vigne, il l’entoure d’une clôture, creuse un pressoir, bâtit une tour de garde. Et il attend de tout cela du bon fruit. Une manière de dire qu’une vie, une existence requiert beaucoup de soin, beaucoup d’attention et des tâches multiples. Les parents le savent bien. On s’attend généralement que ça aille bien dans la vie et dans le monde.
Mais voilà, les choses ne sont pas toujours simples. La vie est bousculée, mise à l’épreuve, mise à mal parfois. On ne s’y attendait pas, on est surpris, mais l’on rencontre des contrariétés, de l’échec, des forces contraires qui viennent défaire, saper le travail mis en œuvre et parfois abîmer, voire casser la promesse que toute vie comporte et la confiance qui s’accroche à cette promesse.
Comme dans la parabole, on butte sur une question : que faire ? Que va-t-il se passer maintenant ? Comment cela va-t-il tourner ? La parabole nous décrit avec des images de violence ce qui est finalement enjeu, et cela concerne chacun. Ce qui est en jeu finalement, c’est soit la méfiance soit la confiance. Va-t-on se situer dans la vie, par rapport à celle que l’on vit et, plus largement dans la vie, devant un don reçu (la vie est reçue) ou bien devant un dû. Veut-on s’emparer de l’héritage, mettre la main sur le don et en prendre le contrôle ou va-t-on jouer le jeu de la confiance ? Ce qui est premier ce n’est pas la violence mais la méfiance. La violence en sort souvent et la parabole nous dit que la réponse habituelle est de se venger. A la violence, il faut riposter par la violence. Il faut se venger, rendre les coups. C’est un mécanisme bien connu : la violence appelle la violence. S’il s’agit d’un échec, eh bien, on devient amer, désagréable, on passe son humeur sur des tiers. Bref, on est dans la répétition, dans du pareil au même. Faire plus de la même chose. Plus de violence, plus de méfiance…
C’est alors que la parabole raconte une suite inattendue, une suite que l’on n’attendait pas. C’est une surprise encore qui vient et qui est celle-ci : il y a une bonne nouvelle qui vient interrompre toutes les mauvaises nouvelles qui frappent nos vies individuelles et collectives. Avec tout ce qui arrive, tout ce qui nous arrive, nous pourrions perdre pied, perdre courage, perdre confiance et la méfiance pourrait bien prendre le dessus. Mais voilà : « n’avez-vous jamais lu dans les Ecritures ? ». Qu’est-ce donc qui est à lire ? Ceci : « La pierre rejetée est devenue la pierre d’angle ». Cette pierre d’angle, c’est le Christ Jésus qui n’a pas répondu à la violence par la vengeance. En nous donnant son Esprit, il nous appelle à sortir aussi bien de la violence que de la méfiance qui conduit à la violence. Il nous dit d’inventer autre chose. L’Evangile, c’est sortir de la guerre sous toutes ses formes, sortir des polémiques, c’est sortir de l’imaginaire de la destruction et de la méfiance au profit d’un imaginaire de la vie. C’est pourquoi Jésus recourt ici à l’image de la pierre d’angle, celle qui soutient l’édifice.
Aux images très violentes, très sanglantes de la parabole, images de destruction et de meurtre fait contrepoids l’image de la construction : la pierre rejetée qui devient une pierre de construction.
Et l’on peut alors dire avec Jésus : « c’est là l’œuvre du Seigneur, une merveille »…En effet.
Vous me direz : c’est vite dit ! Certes l’Evangile ne nous donne pas des recettes, clés sur porte. Dans les situations concrètes de la vie, il s’agit d’inventer les chemins de la non-violence, d’inventer des chemins de paix et de confiance. Précisément, c’est à construire. Ou, pour reprendre l’image de la vigne, c’est retourner la terre, retirer les pierres, déblayer, enraciner. Ce qui suppose du travail, de l’invention, de l’imagination…
Fr. Hubert Tomas
Lectures de la messe :
Is 5, 1-7
Ps 79
Ph 4, 6-9
Mt 21, 33-43