L’Évangile est d’abord une question adressée alors que notre premier réflexe est peut-être d’abord d’y chercher des réponses, les bonnes réponses, les réponses définitives. Or une réponse peut être une bonne réponse sans faire du bien parce qu’elle ramène au connu, au déjà connu, au déjà su, qui nous dispense de continuer à écouter puisque nous avons la bonne réponse. Il y aurait donc d’abord à laisser venir à nous la question comme elle se donne et donc d’écouter. Le commencement de l’Évangile est une question parce qu’il s’agit d’être ramené à l’écoute, d’être remis à l’écoute.
Et aujourd’hui, Jésus interroge ses disciples. Il leur demande ce que les gens disent de lui, disent à son propos. Et en effet, il y a une rumeur qui circule à propos de Jésus et les avis sont différents. Serait-il Jean-Baptiste revenu parmi les gens ? D’autres disent que c’est Elie, d’autres que c’est Jérémie. On reconnaît en lui un prophète. Non pas quelqu’un qui dit l’avenir mais quelqu’un qui parle au nom de Dieu. C’est déjà reconnaître que sa parole n’est pas banale ; il parle avec autorité, il dit des choses essentielles.
« Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Dans cette nouvelle question de Jésus, il y a certainement le désir que ses disciples se positionnent, qu’ils ne répètent pas seulement les rumeurs. C’est que la relation avec Jésus est pour chacun, chacune, une relation personnelle et singulière. Ou bien on reste dans ce que les autres disent, dans ce qu’il faut dire, ce qui convient, ce qui se dit, ou bien on dit quoi… ?
Pierre dit : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ». C’est une réponse intrigante. Elle intrigue parce qu’on se demande ce qu’elle signifie. Et, d’autre part, d’où Pierre tire-t-il cela ? Dans l’histoire de l’humanité, toujours ont surgi des messianismes divers. Nous avons connu le nazisme, le stalinisme. Actuellement, nous voyons à l’œuvre un islamisme terroriste. Ces messianismes ont en commun la volonté de produire, de façonner un homme nouveau, ils promettent le paradis, le grand soir, des lendemains qui chantent. Il y aura une délivrance, une libération politique, sociale. Il y aura un avenir meilleur. La victoire est promise.
Or le messianisme de Jésus, sa messianité ne rentre pas dans cette description. A cet égard, il me semble que l’on pourrait mettre en relief trois points.
D’abord, Jésus se présente comme un Messie en alliance. Il ne vise pas à produire un homme conforme à une idéologie mais invite à la foi, à la confiance, il sollicite la liberté et n’impose pas.
D’autre part, Jésus vit lui-même ce qu’il dit. Sa parole comme ses actes sont des moments d’ouverture à autrui ; il ne vit pas pour son compte mais, sans ostentation, se comporte comme quelqu’un qui veut remettre l’autre debout et en marche, en vie. Je reprendrais volontiers une expression d’un théologien qui, à propos de Jésus parle d’une « sainteté hospitalière », une sainteté d’ouverture, d’accueil, d’hospitalité.
Enfin, Jésus est un messie crucifié, saint Paul ne cesse de le redire. Sa victoire passe par le don de soi, le service de l’autre et l’ouverture à plus grand que soi jusqu’à la mort. Cela nous change des dictateurs de tout acabit.
Découvrir que Jésus est le messie ne relève pas de l’argumentation, de la démonstration raisonnée. Quand Pierre déclare à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant », Jésus lui dit que sa réponse ne relève pas de la chair et du sang. C’est une découverte progressive faite à la suite de Jésus et une révélation, une intuition venant de Dieu. C’est découvrir un trésor, une perle fine, découvrir qu’en lui se trouve l’avenir du monde. Dire aujourd’hui que Jésus est le Messie, c’est confesser que sa façon de vivre, reçue de la sainteté de Dieu, est inspirante parce qu’elle peut encore renouveler l’existence. La sainteté est toujours une nouveauté, toujours unique, chaque figure l’incarne de façon unique et en même temps la sainteté est toujours universelle. C’est une langue qui continue à parler à tous. Chacun peut l’entendre dans sa propre langue.
Devons-nous en attendre un autre, un autre messie ? C’était la question de Jean-Baptiste dans sa prison à Jésus. Et celui-ci ne lui fait pas une homélie. Il le renvoie à des signes : « les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres ». Voilà qui donne à penser…et à faire…
Fr. Hubert Thomas
Lectures de la messe :
Is 22, 19-23
Ps 137
Rm 11, 33-36
Mt 16, 13-20