Quelles sont les clés du bonheur pour notre père Saint Benoît ? Avant tout, selon sa propre histoire: arrêter le tourbillon de la vie qui m’emporte et prendre conscience que Dieu est le vis-à-vis fondamental de mon existence.
C’est ce qu’il fait à Rome, lorsqu’étudiant, il se dit: » Ce chemin ne me suffira pas. Il me manque quelque chose… »
Attitude que nous pouvons rejoindre chaque jour dans la méditation chrétienne en reprenant ce verset du Psaume 45: » Arrêtez, connaissez que moi, je suis Dieu. » C’est-à-dire, faites taire le vacarme de votre mental, le cinéma de l’ego qui projette ses soucis, contrariétés et frustrations sur l’écran de nos pensées. Faites silence et mettez-vous en présence de Dieu.
Mais en présence de quel Dieu ?
Job, qui a scruté la vallée des tourments humains nous met sur la piste en nous confiant que, pour lui, deux choses sont insupportables, à savoir que Dieu soit trop près ou qu’il soit trop loin.
» Epargne-moi seulement deux choses et je cesserai de me cacher devant toi. Éloigne ta griffe de dessus moi. Ne m’épouvante plus par ta terreur. Puis, appelle et moi je répliquerai ou bien, si je parle, réponds-moi. » Quelle beauté dans ces versets qui rappellent le tonnerre d’Élie, vide de la présence divine, et le silence nécessaire à la vraie rencontre.
Quand saint Benoît nous invite au bonheur dans le prologue de sa règle, je pense qu’il a bien compris et évité ces deux écueils. Il a pris distance par rapport à la vision radicale de la règle du Maître qui se plaisait à mettre une pression considérable sur le moine en tous ses agissements. Il refuse un Dieu inquisiteur qui envahit toute la vie de l’homme sans lui laisser d’espace personnel où respirer. Par exemple, il recommande que la prière commune soit toujours brève et qu’ensuite chacun suive l’inspiration de l’Esprit pour développer sa relation à Dieu.
Pour lui, le Seigneur ne peut user de la peur pour se rallier les hommes. Il veut que chacun fasse l’expérience d’un Dieu rempli de bonté, notamment à travers l’autorité du monastère: « Que l’abbé cherche plus à être aimé qu’à être craint. » Ce simple verset donne l’idée de ce que devrait être l’ambiance fraternelle dans un monastère bénédictin, car il s’adresse à chaque moine: Que chacun renonce à imposer ses volontés et ses intérêts en inspirant de la crainte chez les autres ou en alourdissant la vie par de la mauvaise humeur ou du chantage affectif, mais que chacun fasse œuvre de respect, de douceur, de service, de compréhension pour que la lumière de Dieu perce à travers le quotidien.
Mais le Dieu de saint Benoît n’est pas non plus un Dieu trop éloigné, indifférent ou distant. Il s’adresse à nous chaque jour dans sa parole et nous pouvons lui répondre en tissant la trame d’une alliance sur le métier de la prière: » Appelle et moi je répliquerai ou bien si je parle, réponds-moi… »
Au fond, cette idée d’un Dieu ni trop près ni trop loin correspond bien à l’équilibre de la règle et nous enseigne sur nos relations humaines quotidiennes:
Avec nos proches ne soyons pas trop couvant ou au contraire trop harcelant ou courroucés tant qu’ils ne correspondent pas à ce que nous voudrions qu’ils soient, et d’autre part ne les laissons pas non plus tomber dans un abîme d’indifférence, mais suivons la voie du milieu: quand la rencontre vient: appel et réponse, attention et écoute. Le Seigneur nous l’apprend dans la foi, vivons le entre nous pour lui rendre gloire en toutes choses.
En effet, quand on a pu quitter l’attachement à soi, on reçoit le centuple d’une paix et de la joie d’être ensemble autour de notre Dieu.
Bonne fête à tous.
Fr. Renaud Thon