« Celui qui mange ce pain vivra éternellement » : c’est une question de vie ou de mort.
Pas seulement parce que le mot « vie » ou « vivant » revient 9 fois dans ce court passage d’évangile. L’eucharistie est un enjeu vital : pour chaque chrétien, pour l’Eglise, et – si on le comprend bien – pour le monde. Réfléchissons-y à partir de la parole du Seigneur qui nous est proposée aujourd’hui.
Il y a d’abord ce « souviens-toi » placé dans la bouche de Moïse pour rappeler à son peuple le don de la nourriture venue du ciel, la manne quotidienne indispensable à la survie des Hébreux lors de la traversée du désert. Les Juifs, Jésus, ses disciples sont appelés à garder la mémoire vive de ces événements. On sait l’importance d’un mémorial dans l’histoire des peuples – Verdun ou Ypres pour la grand guerre, Yad Vashem à Jérusalem ou Auschwitz pour lé génocide des Juifs, le mémorial du génocide arménien à Erevan… Ici, l’auteur sacré insiste non sur un monument mais sur la mémoire inscrite dans le cœur, et que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de cette autre nourriture du ciel qu’est la parole du Seigneur. Et cette parole, ce n’est pas du passé, c’est maintenant.
Pour Jésus lui-même, l’eucharistie est aussi une question de vie ou de mort. Au moment de réunir ses disciples pour un dernier repas, le Christ décide d’affronter la mort qui se dessine et d’en faire le don de sa vie pour la vie du monde. Le Verbe qui s’est fait chair va jusqu’au bout de sa logique et donne maintenant cette chair, sa condition humaine, comme nourriture et boisson – càd ce qui est indispensable à la vie de l’être humain. Corps et sang livrés, ici par avance sous la forme du pain et du vin, pour la vie de la multitude.
Depuis lors, l’eucharistie est une question de vie ou de mort pour les disciples du Christ. Les premiers, en ce temps-là, l’ont bien compris, dont les Actes des Apôtres nous disent qu’ils étaient fidèles à l’enseignement des Apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. Très vite, la fraction du pain ou le « repas du Seigneur » est devenu, avec le baptême, le signe particulier de l’adhésion à Jésus Christ et à sa communauté. St Paul insiste auprès de la communauté de Corinthe pour qu’elle soit fidèle et conséquente avec la communion au corps et au sang du Christ. Deux siècles plus tard, des chrétiens persécutés en Afrique du Nord diront peu avant leur mise à mort : « sine dominica non possumus vivere – sans l’assemblée du dimanche, nous ne pouvons pas vivre ».
L’eucharistie est donc aussi pour nous, chrétiens du 21e siècle, une question de vie ou de mort. Elle est d’abord vitale, je pense, pour la foi personnelle de chacun. J’ai en tête plusieurs exemples de personnes qui fréquentaient régulièrement la messe dominicale, et qui pour différentes raisons s’en sont abstenues de temps en temps, puis ne sont plus venues à la messe qu’aux grandes occasions, puis plus du tout… et on s’étonne, comme on dit, d’avoir perdu la foi… Cette eucharistie dominicale est essentielle aussi, c’est facile à comprendre, pour la constitution et la vie d’une communauté chrétienne. L’eucharistie fait l’Eglise et l’Eglise fait l’eucharistie, dit un adage célèbre. Je ne dis pas que l’eucharistie est le tout de le vie de l’Eglise, mais elle en est constitutive, elle en est la base. « Sine dominica non possumus vivere » : c’est une question de vie ou de mort pour l’Eglise.
« La coupe que nous bénissons, le pain que nous rompons n’est-il pas communion au corps du Christ » écrit St Paul. L’expression « corps du Christ » dans les premiers temps ne désignait pas seulement le corps eucharistique, le pain de vie, mais le corps mystique, la communauté des disciples. « Devenons ce que nous recevons, le corps du Christ » disaient les pères de l’Eglise.
Enfin, il me semble que l’eucharistie est aussi une question de vie ou de mort pour notre monde. Il faudrait développer ici le lien entre la liturgie et le cosmos, mais ce n’est pas le moment. Pensons seulement que Jésus a donné sa vie pour la multitude… cette multitude ne toucherait-elle pas tous les vivants de notre maison commune ?
« Faites cela en mémoire de moi » : ce n’est pas d’abord une mémoire du passé que nous entretenons, c’est un mémorial vivant qui nous engage maintenant.
Pour conclure, une courte prière de saint Ephrem, diacre au 4e siècle en Syrie (et une pensée fraternelle pour les chrétiens de ce pays) :
Jésus, tu as donné ta vie, comme du pain posé sur la table, mis en morceaux, distribué pour que chacun, tendant la main et le cœur, puisse en recevoir et s’en nourrir.
Tu as donné ta vie somme du vin versé dans la coupe et offert pour que chacun tendant les lèvres et le cœur, puisse en prendre et s’en réjouir.
Tu as tout livré, Seigneur Jésus, et dans ta vie donnée comme du pain, comme du vin, le monde entier peut goûter l’amour de Dieu, multiplié sans compter pour tous le enfants de la terre.
Amen.
Abbé René Rouschop
Lectures de la messe :
Dt 8, 2-3.14b-16a
Ps 147
1 Co 10, 16-17
Jn 6, 51-58