Dans cet évangile, on a sans doute supprimé deux mots, deux fois le même, et ce n’est pas pour que la lecture soit moins longue (on n’était plus à deux mots près). On a négligé de nous dire, deux fois, que Barabbas s’appelait Jésus lui aussi. C’est du moins ce que l’on trouve dans certains manuscrits : « Il y avait alors un prisonnier bien connu, nommé Jésus Barabbas. Les foules s’étant donc rassemblées, Pilate leur dit : « Qui voulez-vous que je vous relâche : Jésus Barabbas ? ou Jésus, appelé le Christ ? »
Le mot Jésus manque dans d’autres manuscrits et la traduction liturgique a choisi de s’aligner sur eux, mais il est probable qu’il figurait dans le texte original. On comprend sans peine, en effet, qu’un copiste répugne à donner le saint nom de Jésus à un bandit et choisisse de le gommer ; on ne voit pas bien, en revanche, si le nom ne se trouve pas dans le texte, ce qui pourrait pousser un copiste à l’y ajouter. Le nom de Jésus, qui signifie Le Seigneur sauve, était courant à cette époque.
Et il était peut-être tout à fait approprié pour Barabbas. Car cet autre Jésus devait être un enfant trouvé. Dans une culture qui ne connaît pas les noms de famille, les individus sont identifiés comme fils ou fille de tel ou tel : Simon fils de Jean, Jacques fils de Zébédée. Dire de quelqu’un qu’il est le fils de son père, bar abbas, c’est avouer qu’on ne sait pas d’où il vient, que son père n’a pas de nom. La personne qui l’a trouvé dans un fossé a dû se dire qu’il avait eu de la chance : « Eh bien, toi, mon petit, si le bon Dieu ne m’avait pas mis sur ta route, je ne sais pas ce que tu serais devenu. C’est le Seigneur qui t’a sauvé. » N’était-ce pas une bonne raison de l’appeler Jésus ?
« Qui voulez-vous que je vous relâche : Jésus Barabbas ? ou Jésus, appelé le Christ ? » Ce choix offert par Pilate est propre à Matthieu. Dans les autres évangiles, Pilate ne prend pas l’initiative de proposer la libération de Barabbas. Il ne parle que de relâcher Jésus, et on lui demande d’élargir plutôt Barabbas, à qui le gouverneur ne songeait pas. Mais sous la plume de Matthieu, la question de Pilate est-elle vraiment différente ? Offre-t-elle un véritable choix entre Jésus et un autre ? C’est comme s’il disait : « Jouons-le à pile ou face : pile, je gagne ; face, tu perds. » Qui voulez-vous que je vous relâche : Jésus ou Jésus ? Jésus le Barabbas ou Jésus qu’on appelle le Messie ? Jésus le Fils du Père ou Jésus le Christ ? Clin d’œil de Matthieu au seuil de la semaine sainte. À la fin de l’évangile de ce jour, tout semble se fermer : « Ils partirent donc et assurèrent la surveillance du sépulcre en mettant les scellés sur la pierre et en y plaçant la garde. » Mais ni la pierre scellée ni la garde n’empêcheront le tombeau de relâcher Jésus, qui est tout à la fois le Christ et le Fils du Père.
Fr. François Dehotte
Procession des rameaux :
Mt 21, 1-11
Lectures de la messe :
Is 50, 4-7
Ps 21
Ph 2, 6-11
Mt 26, 1 à 27,66