Ce récit qui, dans l’œuvre de saint Luc, clôture l’évangile de l’enfance, est devenu le cinquième mystère joyeux du rosaire. Pourtant, il apparaît d’abord comme le récit d’une incompréhension douloureuse : Ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. D’une certaine façon, c’est consolant. L’évangile avoue que, même dans les familles les plus saintes, il arrive qu’on ne se comprenne pas.
Nous comprenons, quant à nous, l’incompréhension de Marie et de Joseph. La réponse de Jésus est surprenante, frise même l’impertinence. Quand on pense que, dans l’évangile de Luc, c’est la seule parole que Jésus adresse à sa mère ! Ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait, ce n’est pas étonnant. Mais nous pouvons chercher un peu la source de cette incompréhension.
Marie et Jésus parlent tous les deux de son père, mais ils ne parlent pas de la même personne. Il me faut être chez mon père, dit-il. « C’est bien notre avis, pourrait lui répondre Marie, tu devrais être chez ton père et tu n’y es pas : nous avons déjà perdu quatre jours que nous aurions pu mettre à profit pour retourner à la maison. Et tu nous demandes pourquoi nous t’avons cherché ! C’est bien parce que tu n’es pas chez ton père que nous t’avons cherché. » Jésus était un garçon intelligent (tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence). Alors, n’aurait-il pas dû deviner pourquoi ses parents le cherchaient ? On dirait que lui non plus ne comprend pas ce qui se passe.
En nous proposant de lire avant cet évangile un extrait du premier livre de Samuel, la liturgie suggère cette incompréhension de Jésus. Marie avait dû lui raconter l’histoire du petit Samuel. Il l’avait sans doute prise pour lui. Il a pu penser que ses parents le conduisait au temple comme Anne avait conduit son fils, encore tout jeune, à la maison du Seigneur, en disant : « Il restera là pour toujours. » Il s’était fait à cette idée. Il avait entendu que la mère de Samuel lui faisait chaque année un petit manteau qu’elle lui apportait quand elle montait avec son mari pour offrir le sacrifice annuel (1Samuel 2,19). Il pensait que sa mère en ferait autant. On peut alors imaginer sa surprise quand il voit ses parents débouler dans le temple au bout de quatre ou cinq jours. « D’où sortent-ils ? Je les croyais rentrés à Nazareth. Je m’attendais à ne plus les voir avant l’année prochaine, quand maman viendrait m’apporter un nouveau manteau, taille treize ans. » S’il en est ainsi, on comprend mieux sa question : « Pourquoi m’avez-vous cherché ? N’est-ce pas vous qui m’avez amené ici ? Ne saviez-vous pas que vous m’aviez donné au Seigneur pour que je reste à sa disposition tous les jours de ma vie ? »
Dans cette page, on l’a souvent noté, chaque détail annonce tout l’évangile : on monte à Jérusalem pour la fête de la Pâque, on perd Jésus, on le retrouve vivant après trois jours ; la question des anges est l’écho de celle de l’enfant : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » L’accueil un peu déroutant que Jésus réserve à ses parents prépare sa réponse à ceux qui viendront lui dire : « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui veulent te voir. » Il leur répondit : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (Luc 8,20-21). Nous appartenons à une famille plus large que notre famille.
Pour l’heure, cependant, l’enfant Jésus accepte sans protester le changement de programme. Il pensait de bonne foi qu’il devait rester chez son père, à Jérusalem. Mais il descend chez son père, à Nazareth. Après tout, il est là aussi chez son Père, car Dieu n’habite pas dans les chaumières moins que dans les temples. Pourvu qu’on y écoute sa parole.
Fr. François Dehotte
Lectures de la messe :
1 S 1, 20-22.24-28
Ps 83 (84), 2-3, 5-6, 9-10
1 Jn 3, 1-2.21-24
Lc 2, 41-52