La Parole de Dieu est grave et exigeante aujourd’hui. Par où commencer ?
Commençons par la deuxième lecture, celle qu’on saute le plus souvent ! C’est Jacques qui prend ici la parole, avec la virulence des prophètes :
« Malheur à vous, les riches ! Vous riez maintenant, vous pleurerez au jour du Jugement ». « Vous avez condamné, vous avez tué le juste. Il ne vous résiste pas… »
À qui s’adresse-t-il, ce Jacques ? Aux riches dans la communauté chrétienne ? aux riches dans la communauté juive et dans la société de Jérusalem à l’époque ? Le juste se voit liquidé : n’est-ce pas la pire des injustices. Jésus, ses disciples, Jacques lui-même, considéré comme « juste » dans toute la tradition et qui sera mis à mort trente ans environ après Jésus… On est là devant une vérité de tous les temps : qu’on se souvienne de Mgr Romero. Il dénonce la violence, l’injustice, l’exploitation et la répression. On le tue alors qu’il célèbre l’eucharistie… Charles le Bon, Danois de naissance, comte de Flandre, au XIIe siècle, ami des pauvres. Il est tué un mercredi des Cendres alors qu’il priait dans la cathédrale à Bruges… Un prêtre sicilien, Pino Puglisi, tout dévoué aux plus pauvres, tué il y a vingt-cinq ans par la maffia. Le pape François en Sicile a rappelé cette mort scandaleuse, il y a à peine quinze jours… L’histoire se répète sous nos yeux. Demeurons alertes, vigilants, préoccupés de justice-maintenant dans nos sociétés à quelques jours des élections… « Malheur à vous qui avez tué le juste… il ne vous résistera pas ».
Que penser de la première lecture, tirée du livre des Nombres ? Elle a été choisie en fonction de l’évangile du jour. Rappelons le passage crucial : « Deux hommes étaient restés dans le camp; ils s’appelaient l’un Eldad, l’autre Médad; l’esprit se posa sur eux – ils étaient en effet sur la liste, mais ils n’étaient pas sortis pour aller à la tente – et ils prophétisèrent dans le camp ».
Eldad et Medad. Pourquoi n’étaient-ils pas là ? Par timidité ? distraction ? humilité ? Ils étaient toutefois sur la liste des 70 et l’Esprit ne les a pas oubliés! Une fois qu’on est sur la liste !…
Les autres prophétisent, mais seulement pour un temps. Eux continuent de prophétiser ! C’est terrible, non ? On proteste par deux fois ! Et Moïse de s’étonner : « Serais-tu jaloux ? Si seulement tout le peuple du Seigneur devenait un peuple de prophètes sur qui le Seigneur aurait mis son esprit ! » Moïse et Jésus pensent de même, et également saint Paul : « nous sommes tous theodidaktoi » !, écrit-il dans sa première lettre conservée, « tous enseignés directement par Dieu » !
L’Esprit dérange. Certains préféreraient qu’il n’y ait pas d’Esprit plutôt que d’être inquiété et dérangé par cet esprit de la prophétie ! Comment canaliser l’Esprit sans l’étouffer ? Notre question : comment retrouver les injonctions de l’Esprit au fond de nous, de chacun de nous ? Souffler sur la braise encore avant qu’elle ne devienne pure cendre. Nous sommes responsables de transmettre le feu : il est certes plus commode de transmettre des cendres froides que des braises ardentes ! Ce moment ici, ensemble, sous la Parole, n’est-ce pas souffler sur les braises ardentes pour que jaillisse à nouveau la flamme en chacun de nous et en tous ensemble ?
Venons-en à l’évangile. Que de paroles fortes et des images terribles. Nous voilà tous des mutilés en puissance ? « Coupe-la, la main ! coupe-le, le pied ! arrache-le, ton œil ! Il vaut mieux être manchot, estropié, borgne… » Il y a chez Jésus une échelle de valeurs très exigeante. La plus haute valeur pour lui c’est le Royaume dans lequel il s’agit d’entrer. Le Royaume ou la Vie, contrastés à la géhenne, là où le feu ne s’éteint pas ! Sommes-nous prêts à de grands sacrifices pour entrer dans la Vie !
La même voix est toutefois capable d’une délicatesse remarquable dans la parole sur « donner ne fut-ce qu’un verre d’eau » parce que quelqu’un « appartient au Christ » ! Ou encore : quelle tolérance et ouverture à l’égard de celui ou celle qui pense autrement : « Qui n’est pas contre nous, est pour nous ».
La conclusion tout à la fin du chapitre récapitule les deux volets : « Ayez du sel en vous-mêmes et vivez en paix les uns avec les autres ». Le sel en nous-mêmes, c’est le sel de l’autocritique, capable de retrancher en nous-mêmes ce qui nuit à l’entrée dans le Royaume. « Vivez en paix les uns avec les autres », c’est tout ce qui relève de la belle tolérance et de l’accueil généreux de toutes nos différences entre baptisés, croyants et humains. « Qui n’est pas contre nous est pour nous ! »
Aujourd’hui la Parole de Dieu est tout sauf mièvre ! Jésus, Jacques, Moïse. Ils indiquent chacun une même direction, et rappellent : « Le juste ne vous résistera pas » ! Il y a la force ultime de la non-violence. Soyons revigorés par cet enseignement, soyons heureux d’être baptisés et de marcher ensemble sous une parole évangélique qui à la fois nous dégage et nous engage. Confessons notre foi commune, motivés par l’ardeur et la lumière qui nous viennent de la Parole de Dieu. Amen.
Fr. Benoît Standaert
Lectures de la messe :
Nb 11, 25-29
Ps 18 (19), 8, 10, 12-13, 14
Jc 5, 1-6
Mc 9, 38-43.45.47-48