Les avez-vous reconnus, ces anges de la fin du monde, qui sépareront les méchants du milieu des justes et les jetteront dans la fournaise, où il y aura des pleurs et des grincements de dents ? Nous les avons déjà rencontrés dimanche dernier, à la fin de l’explication de la parabole du bon grain et de l’ivraie. C’est à leur propos que frère Étienne nous a demandé comment nous accueillons toutes les paroles où il est question du jugement dernier et du châtiment qui attend ceux qui font le mal.
Ces anges trient, séparent, c’est leur fonction officielle ; mais en même temps, ils jettent un pont, ils rétablissent un lien, ils relient les deux paraboles l’une à l’autre. Car les paraboles vont généralement par deux, elles ont une jumelle, et l’une éclaire souvent l’autre, la complète, la nuance au besoin. Les anges qui s’empressent pour trier les poissons viennent nous rappeler qu’il ne convient pas de lire la parabole du filet de pêche sans garder à l’esprit celle du bon grain et de l’ivraie.
Or, l’essentiel de la parabole que nous avons entendue l’autre dimanche, c’est qu’il ne faut pas vouloir faire le tri nous-mêmes. En enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson… Ne cherchez pas à séparer les justes de ceux qui font le mal, vous n’y voyez pas assez clair, même si vous êtes intelligents et sages comme Salomon. Et ne risquez pas, dans le champ de votre propre cœur, de déterminer vous-mêmes ce qui est promis au feu éternel. Nul n’est bon juge dans sa propre cause. Je ne me juge pas moi-même, disait saint Paul. Dieu s’en occupera le moment venu.
Car il y aura un jugement et c’est bon qu’il en soit ainsi. La promesse d’un jugement est une bonne nouvelle. Cela veut dire que tout ne se vaut pas, qu’il ne faut pas sombrer dans l’indifférence et le relativisme. Devant la prolifération du mal qui déferle sur le monde, la parole de Dieu nous rassure : un jour, on fera le tri, on appellera les choses par leur nom.
Je dis bien : les choses. Les deux paraboles que je lis ensemble, parce que les anges nous y invitent, parlent de l’ivraie et de ce qui ne vaut rien. L’évangile y ajoute des explications qui parlent de personnes : les fils du Mauvais, ceux qui font le mal, les méchants. Mais il ne faut pas s’y méprendre : le Mauvais n’a pas de fils. Quand nous proclamons que nous croyons en un seul Dieu créateur, nous affirmons que le Mauvais est bien incapable de donner naissance à des fils. Tous les êtres humains sont fils et filles du Dieu unique, créés par un Dieu qui n’est que bonté, et à ses yeux, même les vauriens valent encore quelque chose. D’ailleurs, le Dieu qui fait tout contribuer à leur bien sait mieux que nous s’il est capable de changer l’ivraie en bon grain et le menu fretin en thon de premier choix.
Le jugement concernera moins les personnes que leurs actes. Ce sont des actes qui seront jetés dans la fournaise, pour que nous soyons débarrassés de tout ce qui nous ternit et que nous puissions resplendir comme le soleil dans le royaume de notre Père.
Mais n’anticipons pas. Le jugement ne nous appartient pas. N’arrachez pas l’ivraie dans le champ du monde, ne triez pas vous-mêmes les poissons de votre filet, laissez faire les anges.
Fr. François Dehotte
Lectures de la messe :
1 R 3, 5.7-12
Ps 118
Rm 8, 28-30
Mt 13, 44-52