Chers frères et sœurs,
Nous vivons aujourd’hui dans une civilisation de l’image et des écrans. Ce sont des milliers d’images, en effet, que notre regard ingurgite sur une semaine à travers notre ordinateur, notre télévision, notre téléphone, les affiches publicitaires, le cinéma, les magazines,… et chaque image est porteuse d’un message. Il y a de quoi avoir une indigestion, ne plus s’y retrouver, ou simplement se soumettre inconsciemment à ce champ de significations débridées.
Les premiers chrétiens persécutés étaient aussi confrontés à une série de représentations de puissance et de force qu’essayait de leur imposer le pouvoir impérial: jeux du cirque, arcs de triomphe, statues de l’empereur à vénérer, condition de l’esclave dans la société, etc… Face à cela, ils ont créé des contre-images, notamment dans le livre de l’Apocalypse et dans l’art chrétien. Nous en avons un exemple dans la première lecture: une Femme avec le soleil pour manteau, la lune sous ses pieds et une couronne de 12 étoiles sur la tête. Dans ce monde chaotique où règne la division et le trouble, voici un point de référence sur lequel fixer nos yeux et notre espérance. Pour l’auteur, cette Femme est sans doute Marie, mais la majuscule du mot qui la désigne nous rappelle qu’elle peut symboliser aussi celle qui enfante les générations, la communauté de ceux qui espèrent en Dieu à travers les âges, soleil et lune se succédant pour former les jours, les nuits et les années. Cette Femme enfante encore dans la douleur et la force de la Vie face au danger d’un mal qui veut tout anéantir. Dans notre monde d’aujourd’hui où le mal est toujours à l’œuvre, nous pouvons encore trouver une communauté d’hommes et de femmes qui espèrent le Salut, le porte et luttent pour la victoire du bien.
En voyant ce signe, nous sommes invités à nous rallier à ce mouvement de vie qui tend à nous réunifier dans la confiance et expurger toutes les fausses images qui nous polluent l’esprit, le fascinent en pure perte, l’enferment sur lui-même en le rendant dépendant.
Cette image forte du don du Messie qui nous est fait à travers Marie et la communion des croyants s’achève par la proclamation solennelle d’une parole: » Maintenant, voici le salut, la puissance et le règne de notre Dieu, voici le pouvoir de son Christ. » Le signe fait place à la parole, la vision à l’écoute, l’espérance à une réalisation. Toute parole vraie vient nous bousculer, nous déranger pour réaliser quelque chose en nous, dans le réel. Dans l’Ecriture, elle retentit à chaque page, et il y a deux façons de l’accueillir apparemment opposées et pourtant complémentaires: l’obéissance dont le modèle est Marie et la résistance qu’on trouve chez les prophètes et dons la caricature est Jonas (la colombe: là aussi un symbole du peuple, de la communauté des croyants).
Marie, c’est le oui, c’est l’acquiescement à la parole et l’incarnation du Verbe dans ma réalité. C’est Israël à l’écoute de son Dieu et dans la voie des commandements, et c’est encore nous-même quand nous laissons le souffle de l’Esprit traverser nos vies. La résistance, c’est Jonas qui ne peut pas comprendre la miséricorde de Dieu envers les ennemis de Ninive et qui fuit vers l’Espagne à l’opposé de sa mission; et c’est nous quand nous refusons de devenir ce que nous sommes, la place ou la mission que Dieu nous offre, mais par nos objections et nos résistances qui tombent les unes après les autres, Dieu se révèle aussi. Sa luminosité est plus forte que nos écrans de toute sorte. Et Marie a dû vivre cela aussi silencieusement.
Mais il reste un ennemi redoutable que seul le Christ peut vaincre: la Mort qui est comparable à une pièce à deux faces qui sont l’indifférence et la haine. Si l’on court après ce joyau amer, il nous entraîne dans l’oubliette de nos refus. Un ancien toxicomane me disait récemment: » Quand j’étais sous l’emprise de la drogue, mon corps était bien là, mais à l’intérieur, c’était le néant, la mort . Je ne savais même plus sourire, ni répondre à la chaleur d’un regard humain. »
Cette mort spirituelle, Marie nous en délivre en nous offrant son Fils qui vient à notre rencontre en changeant le vide spectral de notre tombeau intérieur en un espace où l’on peut dire OUI à quelqu’un. Le Christ vient encore vers nous, comme Marie s’était mise en route, voyagea avec empressement, entra dans la maison et dit » Salut ».
Que ce simple mot déploie toute sa signification dans nos cœurs.
Frère Renaud Thon
Lectures de la messe :
Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab
Ps 44
1 Co 15, 20-27a
Lc 1, 39-56