Le prophète Ézékiel est en exil. Comme les autres déportés de son peuple, il relit sans doute son expérience à la lumière de l’Écriture : « Moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux : chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils jusqu’à la troisième et quatrième génération » (Dt 5, 9). Cela signifie-t-il que la génération de l’exil paie les fautes des pères, sans que l’on tienne compte des mérites des justes ? Comment sortir d’un tel enfermement ?
Poursuivant sa lecture, Ézékiel rencontre juste après cette autre affirmation : « Mais ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements, je leur montre ma fidélité jusqu’à la millième génération (Dt 5, 10). Apparemment, la bienveillance de Dieu a la vie plus dure que son ressentiment !
C’est en s’appuyant sur elle qu’Ézékiel, exilé avec les exilés, perçoit sa mission de prophète. Comme guetteur et éveilleur, sa foi s’approfondit ! Pour lui, le Dieu d’Israël ne prend pas plaisir à la mort du méchant (Ez 18, 23), mais se réjouit de le voir renoncer à sa conduite et vivre. Aussi Ézékiel encourage le méchant à se détourner de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice (Ez 18, 21). Par contre si le juste se détourne de la justice, il mourra (Ez 18, 24). Semblable profession de foi affirme la responsabilité personnelle de l’homme face à Dieu et brise le cycle de la faute et de la sanction. Ce n’est pas Dieu qui punit. Ézékiel lutte ainsi contre le fatalisme ambiant et soutient la foi de son peuple brutalement privé de ses repères. L’Exil fait donc prendre conscience que l’Alliance avec Dieu est personnelle et peut se vivre dans une situation de crise sans les repères habituels (le Temple et les sacrifices). Le rôle des prêtres de l’époque sera important comme gardiens de la Parole de Dieu et innovateurs de rites adaptés aux circonstances nouvelles!
Frères et sœurs, brutalement privés des repères habituels, d’eucharisties, de célébrations communautaires, comment ne pas rapprocher, dans une certaine mesure, l’épreuve de l’exil et la situation vécue durant le confinement ? Grâce à diverses initiatives, nous avons pu nous nourrir de la Parole de Dieu et y puiser force pour la route ! Certaines personnes isolées, se fidélisant à la retransmission de la messe célébrée par le pape François à Rome, se sont senties rejointes par Dieu. Dieu s’invitait de façon inattendue et les rejoignait dans leur corps fragilisé. Aucune situation ne semble arrêter la recherche de l’homme par Dieu à condition que l’être humain reste disponible et attentif.
Pour Ézékiel, dans toute situation de la vie, l’homme a pour tâche de se décider à revenir de sa vie de péchés plutôt que de se prendre pour un juste sanctionné
Dans l’Évangile, Jésus reprend cette conviction. Une fois encore, c’est le Père qui s’approche et invite avec insistance ses deux fils à aller travailler à sa vigne. Le premier refuse : « Je ne veux pas ! » Plus tard, en y repensant, il y va. Il a décidé d’y aller. Un oui peut-être difficile ! L’autre répond : « Moi, Seigneur ! » C’est bref comme un rapport à un maître, mais il n’y alla pas. Son oui n’est pas un vrai oui. Rien ne change dans sa vie. L’homme est libre de répondre ou non à l’appel de Dieu ! Révélation de l’amour inouï de notre Père des cieux qui accepte le refus de l’homme et ne cesse de croire en lui ! Tel le Père prodigue acceptant de voir partir son fils avec sa part d’héritage et courant à sa rencontre lors de son retour. L’aîné, juste à ses propres yeux, refuse de partager un tel amour, injustifié à ses yeux ( Lc 15, 11-31) ! Qu’est-ce qui habite le cœur de Dieu pour espérer ainsi la collaboration du fils rebelle ou le retour du fils ayant dilapidé l’héritage reçu ?
Quelques versets avant le passage d’Évangile entendu aujourd’hui, Jésus répond à cette question de façon imagée ! Aux disciples étonnés par son comportement, Jésus dit « En vérité, je vous le déclare, si un jour vous avez une foi qui n’hésite pas, si vous dites à cette montagne : Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer, cela se fera. Tout ce que vous demanderez dans la prière avec foi, vous le recevrez» (Mt 21, 21-22). Ainsi ce qui motive l’attitude de Dieu vis-à-vis de l’homme, c’est qu’il croit en l’homme. Des pécheurs acceptant son pardon, tels un Pierre, un Paul et tant d‘autres, il en fait des disciples, des témoins de son amour. Avons-nous assez de foi, parfois bien éprouvée, en l’homme pécheur pour ne pas l’enfermer dans son passé et lui donner une nouvelle chance ? Question cruciale hier comme aujourd’hui !
Fr. Jean Albert Dumoulin
Lectures de la messe :
Ez 18, 25-28
Ps 24 (25), 4-5ab, 6-7, 8-9
Ph 2, 1-11
Mt 21, 28-32