L’évangile que nous venons d’entendre n’est pas sans ironie quand il parle du Fils de l’homme qui vient dans sa gloire et du Roi qui rend le jugement final. Quel est donc ce Fils de l’homme en gloire et ce Roi-juge ? Car nous entendons qu’ils sont associés à ceci : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’avais soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli ».
Avons-nous bien compris ? Car, c’est d’une telle simplicité, d’une telle transparence que nous pouvons nous demander si nous avons bien compris. Quoi ! Le Christ est rencontré, il est trouvé dans cet affamé, cet assoiffé, cet étranger, ce prisonnier ? Voilà qui déplace vraiment la religion et la façon dont elle est souvent comprise. L’enjeu n’est pas d’abord d’aller à l’église, à la synagogue ou à la mosquée mais de venir en aide à celui ou celle qui est dans le besoin. Le jugement final porte sur cela : ce qui a été fait ou non. Ce qui commande tout, le grand commandement, c’est le besoin, le manque réel chez autrui: la faim, la pauvreté, la détresse, la maladie, l’exil ou la prison… Le bien, c’est quand on s’occupe de cela réellement et qu’on y met fin selon ce qu’on peut faire ici-maintenant. Le mal, le péché, c’est de ne rien faire, de ne pas s’en occuper, de laisser cela à d’autres. Voulons-nous discerner entre le bien et le mal ? Le bien est ce qui donne vie, le mal est ce qui laisse dans la mort et ce qui apporte la mort. Rendre notre monde plus humain, le rendre moins inhumain, faut-il être chrétien pour cela, dira-t-on ? Mais voilà, la sainteté prophétique et messianique n’est pas l’apanage des chrétiens. L’Esprit saint est partout à l’œuvre… N’est-ce pas une bonne nouvelle ?
Ceux et celles qui sont secourus sont des anonymes exclus ou en tout cas rejetés dans les marges de nos sociétés ; ils n’ont pas de nom et on passe à côté, on ne les regarde pas. Ce sont les invisibles de notre monde. Venir à eux, c’est justement les voir, les reconnaître, les regarder, les rendre visibles, en faire des « je ». C’est d’ailleurs ce que dit notre évangile : « j’avais faim, j’avais soif, j’étais malade…et vous… ».
Ce qui est aussi à noter, c’est que le Fils de l’homme, le Seigneur, le Roi est tout à fait incognito. On ne sait pas du tout qu’on a à faire à lui, qu’on le rencontre dans ces hommes et ces femmes marqués par le manque ou le malheur. C’est un étonnement de s’entendre dire : « c’est à moi que vous l’avez fait » ou « à moi non plus vous ne l’avez pas fait ». Dieu, dans nos vies, serait donc dans l’incognito, dans la non-évidence. Il est l’inaperçu. Est-ce la discrétion de Dieu ? Une discrétion sans doute mais qui n’empêche pas qu’il est bien là : dans ces anonymes dépourvus.
En méditant cet évangile, je me suis demandé : mais quelle est le sens et la portée d’un texte qui fait dire à Dieu en première personne qu’il est ce pauvre secouru ou non, identifié à ce malade visité ou non ? Cela doit bien dire quelque chose de Dieu.
Cela touche nos représentations, nos images de Dieu. On nous a souvent dit : Dieu est invisible, inaccessible, impassible, dans un arrière-monde, dans l’au-delà ou encore un Dieu qui ne devient pas, qui est fixe, immuable.
Voilà un Dieu qui dit « je » : j’ai été affamé, j’ai été malade, émigré, prisonnier. Un Dieu qui prend position, qui s’implique, s’engage.
Et c’est Dieu lui-même qui dit cela…ainsi. Pas n’importe qui. Le fait que ce soit lui qui le dise exprime encore autre chose qu’un fait divers : des gens ont été secourus quelque part, un geste humanitaire. Il n’ajoute pas un plus mais dit où se trouve l’absolu, où se trouve l’avenir de la vie, l’ultime, les choses dernières.
Mais cet évangile surprenant dit du même coup quelque chose de ces êtres anonymes. Non seulement ils ne sont pas des numéros d’un dossier, un cas dans un hôpital, une femme ou un homme relevant du CPAS ou de Fédasil. Ils sont des images de Dieu, les bien-aimés du Père. Ceux-là précisément donnent Dieu à voir.
Un mot maintenant sur la première lecture. Le 7 décembre 1941 le maréchal Keitel porte un décret Nacht und Nebel. Il prévoit la déportation de tous les opposants ou ennemis du Reich. Ce maréchal avait-il lu le prophète Ezéchiel ? Les historiens en discutent. En tout cas, ce qu’il avait en vue c’est la destruction. Dieu lui, dit : « j’irai délivrer mes brebis dans les endroits où elles ont été dispersées un jour de brouillard et d’obscurité ». Nacht und Nebel.
Fr. Hubert Thomas
Lectures de la messe :
Ez 34, 11-12.15-17
Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
1 Co 15, 20-26.28
Mt 25, 31-46