« Ils chasseront les démons ». Voilà ce qui est dit dans la finale de l’évangile de Marc. Les disciples de Jésus doivent poursuivre ce qu’il a fait : entre autres, chasser les démons. Tâche de guérison pour délivrer des possessions qui occupent la vie, qui aliènent dans tous les sens du mot. Le démoniaque est ce qui déshumanise, ce qui enlève l’humanité à quelqu’un. Chasser les démons, c’est bien un aspect de la bonne nouvelle. Et il ne s’agit pas de diablotins…
L’évangile de ce dimanche nous dit que les premiers disciples font cela ; la bonne nouvelle est donc à l’œuvre. Elle continue.
Mais il y a une ombre au tableau : les disciples ont vu que d’autres font la même chose, d’autres qui ne sont pas du groupe, de leur groupe. En se réclamant du nom de Jésus, d’autres aussi chassent les démons. On n’aime pas trop que d’autres vous imitent, vous copient. Il faut arrêter cela et les disciples se plaignent à Jésus. Ce qui est intéressant dans ce passage, c’est la réponse de Jésus : « celui qui n’est pas contre moi est pour moi ». C’est une réponse déconcertante. Pourquoi répondre ainsi ? Et quel peut bien être l’enjeu de tout cela ?
A première vue, les disciples voudraient s’identifier, se définir, se spécifier. Et pourquoi pas ? Ne faut-il pas se distinguer des autres, se différencier des autres, pouvoir dire qui l’on est. Jésus leur répond : qui n’est pas contre nous est pour nous. On ne comprend pas bien : quelqu’un qui vous dit « je ne suis pas contre » d’une voix un peu pâteuse, cela ne va pas créer beaucoup d’enthousiasme… Mais Jésus ne prend pas la formule ainsi. Il demande : faut-il se définir par l’exclusion ? N’est-ce pas accaparer pour soi le bien et la vérité alors qu’il faut les laisser libres, libres d’inspirer tout le monde. Comme si on pouvait les mettre dans une cage au lieu de les laisser voler partout. C’est construire le monde par l’opposition, l’exclusion, le rejet, l’intolérance, être contre.
L’Évangile n’est justement pas un contre. Il ne travaille pas par l’opposition et l’exclusion. Il agit autrement : par l’inclusion, par rassemblement, par communion. Et donc, qui n’est pas contre est déjà dans l’Évangile car il a choisi de ne pas entrer en guerre, il n’a pas choisi l’opposition. N’être pas contre est-ce la même chose qu’être pour ? Cette parole de Jésus refuse l’enfermement dans une définition, elle laisse la porte ouverte, elle se refuse à classer les gens et les mettre dans des tiroirs.
Mais alors « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » ? On a l’impression alors qu’il n’y a plus de coupure, cette coupure dont il est bien question dans notre évangile. Eh bien la coupure passe précisément entre ceux qui acceptent la communion et ceux qui la refusent. Mais dira-t-on la communion n’est-elle pas toujours comme je la vois, comme je la sens, selon mon point de vue ? C’est justement pour cela que Jésus dit : qui n’est pas contre nous. La communion ne peut être seulement comme ce que j’en pense mais aussi ce que l’autre en pense. C’est une communion qui ne se fixe pas, ne se fige pas mais accepte de se recevoir d’un autre et en fin de compte de l’Esprit saint.
On pourrait dire que dans ce passage d’évangile, c’est la question des frontières, du chez nous et du chez eux qui est soulevée. Mais comment ces frontières peuvent-elles éviter de devenir des enfermements ? Comment les traverser ? Jésus appelle ses disciples à ne pas en rester au repli sur soi, au quant à soi mais à mettre en œuvre l’hospitalité. Mais pour cela, ne faut-il pas introduire de la coupure, couper dans ce qui voudrait faire un tout. Est-ce la raison pour laquelle le rituel juif du mariage implique qu’on casse un verre ?
Fr. Hubert Thomas
Lectures de la messe :
Nb 11, 25-29
Ps 18 (19), 8, 10, 12-13, 14
Jc 5, 1-6
Mc 9, 38-43.45.47