Entre l’Évangile proclamé cette nuit et celui de ce jour, il y un abîme paradoxal qui dit le mystère de Noël. Saint Luc nous confiait dans la pénombre qu’un signe nous est donné: un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire, et, à la lumière de ce jour, saint Jean nous révèle l’immense nouvelle que ce petit humain est le Verbe qui a façonné l’Être et qui vient du sein de Dieu. L’infiniment grand s’accorde au tout petit et ce paradoxe se poursuit en sa personne: né d’une mère pourtant vierge, pauvre alors qu’il a tout créé, ayant besoin de téter, lui qui nourrit tous les hommes, ayant vu le jour dans un lieu perdu lui qui siège sur le trône de l’Univers, il éprouvera la fatigue du chemin lui qui sera notre Voie vers le Père, crucifié, lui qui vient mettre fin à tous nos tourments, mort, lui qui est la Résurrection
Ainsi le Verbe se fait infans sans parole, il accepte d’entrer en dépendance et précarité. Lui qui est capacité infinie de renouvellement, il se laisse emmailloter et coucher, il se met à la merci et à la grâce de mains humaines. Il se laisse faire, lui qui a tout fait, pour devenir l’un de nous. Il apprend notre langage pour devenir Parole dans nos cœurs et dans nos bouches.
Mais pour accueillir le Verbe de Dieu en nous, il nous faut naître avec lui.
Sa conception dans le sein de Marie correspond pour nous au moment unique où un regard, une parole, un événement nous tournent tout entier vers Lui et nous retournent, un grain d’évangile a été semé en nous et rien ne pourra l’arrêter de grandir. Puis c’est le temps de la grossesse durant lequel nous sommes nourris par le témoignage de foi de ceux qui nous entourent comme le corps d’une mère: l’Eglise.
Puis c’est la naissance, comme au baptême, nous venons à la lumière, le Christ naît en nous et nous pouvons grandir avec lui. Et cette annonce se diffuse au loin surmontant tous les murs de séparation. Les mages à l’horizon ont reconnu l’étoile, comme aujourd’hui tant de gens pratiquent la méditation comme un besoin vital et se mettent ainsi en chemin intérieur vers une crèche oubliée.
Comme Marie portait l’enfant dans ses bras, le rassurait par des berceuses et la douceur d’une mère, l’Eglise, par la liturgie, les sacrements, le chant des psaumes, nous fait entrer dans la confiance, dans la foi. Et l’image de la Vierge à l’enfant se démultiplie en une infinité de représentations. Car, dans la vie d’un homme, presque toutes ses relations dépendront de l’expérience première qui l’a conduit dans la confiance. Tout commence dans l’espace mère-enfant. Nous ne sommes sans doute pas égaux sur ce point: certains ont reçu beaucoup d’amour, d’autres pas assez, d’autres trop…et cela nous marque pour toute notre existence. Mais, dans la naissance de Jésus, tout est repris et remis au monde dans la confiance fondamentale que nous sommes aimés de Dieu, qui que nous soyons et quelques soient nos blessures, gratuitement et sans inégalité.
Ensuite nous nous laissons instruire par l’Esprit, nous sommes confirmés dans notre existence d’adultes dans le Christ pour nous asseoir à la table du Père et partager sa joie, comme en cette eucharistie.
Finalement l’itinéraire de Noël est comme récapitulé dans le beau psaume 130 que je vous laisse en conclusion:
» Seigneur, je n’ai pas le cœur fier, ni le regard hautain.
Je n’ai pas pris un chemin de grandeurs ni de prodiges qui me dépassent.
Non, je tiens mon âme en paix et silence; comme un petit enfant contre sa mère; comme un petit enfant, telle est mon âme en moi.
Mets ton espoir, Israël, dans le Seigneur, dès maintenant et à jamais! »
Heureux Noël.
Frère Renaud Thon
Lectures de la messe :
Is 52, 7-10
Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4, 5-6
He 1, 1-6
Jn 1, 1-18