Et nous, n’avons-nous pas tous tressailli dans le sein de notre mère ? Peut-être Jean-Baptiste venait-il de se retourner tout normalement dans le sein de sa mère, fallait-il déjà y voir le signe du renversement d’Alliance que Jésus allait provoquer dans l’histoire ?
Je reviens aux paroles d’Élisabeth qui disait : « Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » La visite de Marie à Élisabeth fait référence à l’épisode de la montée de L’Arche à Jérusalem dans le livre de Samuel ; lorsque David se fut installé comme roi à Jérusalem, lorsqu’il eut un palais digne du roi d’Israël, il envisagea de faire monter l’Arche d’Alliance dans cette nouvelle capitale. Mais il était partagé entre la ferveur et la crainte. Chez David la crainte l’emporta et il dit : « Comment l’Arche du Seigneur pourrait-elle venir chez moi ? » Du coup, le voyage s’arrêta là : David crut plus prudent de renoncer à son projet et remisa l’Arche dans la maison d’un certain Oved-Édom où elle resta trois mois. On peut penser que Luc fait référence, dans le récit de la Visitation, au récit de la montée de l’Arche à Jérusalem : les deux voyages, celui de l’Arche et celui de Marie se déroulent dans la même région, les collines de Judée ; l’Arche entre dans la maison d’Oved-Édom et elle y apporte le bonheur (2 S 6, 12), Marie entre dans la maison de Zacharie et Élisabeth et elle y apporte le bonheur ; l’Arche reste trois mois dans la maison d’Oved-Édom, Marie reste trois mois chez Élisabeth ; enfin, David dansait devant l’Arche (le texte nous dit qu’il « sautait et tournoyait ») (2 S 6, 16), quand Luc note que Jean-Baptiste « bondit de joie » devant Marie qui porte l’enfant.[i]
Même si, avec Jésus, l’alliance de Dieu se renouvelle profondément, le tressaillement de Jean rejoint celui que nous vivons tous ou bien que nous avons vécu lorsque Dieu s’est fait plus proche de nous dans notre vie. Des rencontres, des conversions, des visitations ont chaque fois été originales et ont donné à notre vie une orientation nouvelle. Combien de fois ne nous sommes-nous pas retournés par la surprise d’une visitation ?
Élisabeth a été secouée dans son corps par son fils qui était lui-même concerné directement par la rencontre d’un événement sacré. Remarquez que Jean n’est pas le seul à avoir tressailli de joie sous l’action de l’Esprit Saint. Plus tard, l’évangile de Luc nous relatera que Jésus tressaillit de joie, à son tour, sous l’action de l’Esprit Saint avant de dire : » je te bénis Père d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux tout petits. » Oui, les tout petits sont privilégiés pour nous indiquer le mieux le Christ, à leur manière.
Mais je crois que cet événement de la rencontre de Marie et d’Élisabeth nous invite aussi à écouter tout ce que l’Esprit fait remuer en nous. Une femme enceinte a la sensibilité de tous ses sens pour ressentir ce que l’enfant vit à l’intérieur d’elle. Sans doute sera-t-elle aussi plus sensible pour vibrer à tout ce qui se vit autour d’elle…
Ainsi, l’âme d’enfant qui sommeille en chacun peut se réveiller à des moments forts de notre existence et nous rappeler un tressaillement fondateur …
Souvent, quand on se rappelle les expériences originelles qui ont éveillé notre foi, on découvre que Jésus nous a parlé quand nous étions tout petits. Certes, nous n’étions pas encore très conscients à l’époque où l’événement se déroulait, mais il ne faudra pas longtemps pour nous rendre compte que l’Esprit Saint aura emprunté aussi ce chemin-là pour nous rejoindre.
L’épisode de la Visitation est l’occasion de nous aider à reconnaître toutes les manifestations de l’Esprit dans notre vie. Nous découvrons par cet événement que la foi est en germe en nous et qu’une rencontre peut faire tressaillir le Christ qui est en train de grandir en notre sein.
Marie et Elizabeth ont vu leur vie bousculée par le fait d’être enceintes. On ne peut pas dire, en effet, que ces deux femmes sont à priori dans des situations faciles. Marie se retrouve enceinte après un engagement, un ‘oui’ grave et important exprimé lors d’un événement qui en dérouterait plus d’une. Élisabeth, une femme âgée, se retrouve enceinte à un âge où elle ne l’attendait plus. Mais les appréhensions qu’elles peuvent connaître sont dépassées par la joie de donner la vie. Elles portent en elles une cause de grande joie ! Cela donne de l’entrain à Marie qui se déplace avec hâte pour rencontrer sa cousine. [ii]
Aujourd’hui les deux femmes enceintes nous partagent la joie de l’attente, la joie de la foi dont nous sentons, sans les voir, les fruits prendre corps en nous.
Je voudrais terminer par ces mots de R.-M.Rilke : » Qu’est-ce qui vous empêche de projeter la venue de Dieu dans le devenir et de vivre votre vie comme un des jours douloureux et beaux d’une sublime grossesse ? Ne voyez-vous donc pas que tout ce qui arrive est toujours un commencement ? Ne pourrait-ce pas être son commencement à lui ? Il est tant de beauté dans tout ce qui commence … » [iii]
[i] Cfr commentaire de M.-N.Thabut
[ii] Tiré d’une homélie du P. Arnould pour la messe des artistes à Bruxelles.
[iii] RILKE, Les lettres à un jeunes poète, de l’éd. des Cahiers Rouges de Grasset, Paris, p.68
Fr. Pierre Gabriel
Lectures de la messe :
Mi 5, 1-4a
Ps 79 (80), 2a.c.3bc, 15-16a, 18-19
He 10, 5-10
Lc 1, 39-45