Célébrer la résurrection : finalement, qu’est-ce que cela veut dire ? Pour ma part, je ne trouve pas que ce soit tellement évident. Nous sommes habitués à parler de la victoire de la vie sur la mort, de la manifestation de Jésus ressuscité, comme dans le fameux sketche de Raymond Devos : « Jésus revient », Jésus, qui vient frapper à notre porte et qu’on regarde à travers le judas, pour voir si c’est bien lui… « Vous voyez la (s)cène ! »

On peut en rester à l’aspect le plus anecdotique, et chercher à savoir en quoi pouvaient bien consister les apparitions que nous décrivent chaque évangile. Qu’est-ce que les disciples ont bien pu voir ? De quel phénomène physique ont-ils été témoins ? De telles questions nous mènent dans une impasse, et surtout, elles nous laissent totalement étrangers, extérieurs à ce qui est raconté. Les évangiles ne sont pas un savoir pour satisfaire la curiosité de personnes fascinées par le sensationnel. Ils ne sont pas non plus une compilation d’informations objectives et neutres, destinées à des observateurs qui ne veulent pas s’impliquer dans le message qui est transmis.

Les textes que nous recevons dans nos liturgies, ces récits des rencontres avec le Ressuscité, sont là pour nous permettre d’entrer à notre tour au cœur de l’expérience que les disciples ont vécue. Bien sûr, nous ne la vivrons pas comme eux. Sans doute, n’allons-nous pas voir Jésus ressuscité comme ont pu le voir Pierre, Jean, Thomas, Marie et tous les autres. Mais cependant, encore aujourd’hui, cette rencontre nous concerne et sa réalité spirituelle est au cœur de notre expérience de foi. Que Jésus soit apparu à l’un ou à l’autre de ses disciples n’est pas si important, après tout. Ce qui compte, et ce que nous font discerner les rédacteurs des évangiles, c’est la visibilité encore actuelle de la vie de Jésus. Où perçoit-on la vie réelle de Jésus à l’œuvre aujourd’hui, dans le concret de nos existences ? Où apparaît-elle, où rayonne-t-elle ? Comment sa vie divine peut-elle convertir le cœur de quelqu’un, au point de l’éveiller à sa réalité et de le convaincre de sa présence et de l’énergie qu’elle contient ? Où prenons-nous distance du monde merveilleux mais ambigu des croyances, des représentations, des imaginations, pour entrer dans une véritable expérience, dans une transformation spirituelle palpable, tangible, témoignage de l’irruption d’un Autre, ce Tout Autre qui rend toute chose radicalement nouvelle ?

Aujourd’hui, ce qui nous tient lieu d’apparition, là où Jésus commence à se donner à voir et nous apprend à le reconnaître, c’est, bien entendu, le trésor des Ecritures. L’écoute de ces vieux textes peut réveiller la Parole qui s’y cache, la faire résonner à nouveau à « l’oreille de notre cœur », selon l’expression de la règle de saint Benoît, et nous inviter à lui redonner vie, à la ressusciter en quelque sorte, à la rendre à nouveau vivante et agissante. Cette Parole divine que l’écrit recèle, comme le joyau que protège un écrin, peut toucher le mystère même de la vie divine qui trouve son abri au profond de l’intériorité humaine. Redonner à cette Parole son incandescence, c’est aussi faire de notre propre cœur une torche brûlante. Ressusciter la Parole endormie au creux de la lettre, c’est aussi nous laisser ressusciter.

Ressusciter, c’est donc aussi notre propre chemin. Notre baptême a été le premier pas de cette longue démarche qui prend toute la vie. Premier des sacrements d’initiation, selon la formulation la plus classique de la tradition chrétienne, il nous fait passer par la mort du Christ pour nous faire revivre avec lui. Regardons cela d’un peu plus près, car, ici encore, ce qui se joue dans ce rite initiatique est loin d’être anodin.

Le baptême n’est pas une sorte de protection magique : il est un passage. Il nous conduit tout d’abord au cœur de la passion de Jésus, il nous mène à l’expérience de la croix, telle que Jésus l’a subie, telle que Jésus l’a également et librement affrontée. Comme toute expérience d’approche de la mort, les croyances et les sécurités les mieux établies, les illusions les mieux enracinées s’effondrent et laissent place aux vraies priorités, au véritable absolu –et non plus à ce qu’on nous en a dit-, à ce qui seul compte pour nous, à ce pour quoi nous sommes prêts à risquer et même à donner notre vie. On est devant le grand saut, et le langage conformiste sur les réalités ultimes s’efface et laisse place à une rencontre du mystère radicalement nouvelle. La croyance s’en va, la confiance peut germer et se déployer. Mais ne l’oublions pas : c’est la communion à la mort de Jésus que le baptême construit en nous. Il nous fait donc entrer dans le mystère de ce qui brûle au cœur de la vie de Jésus, il nous éveille à ce pour quoi Jésus a risqué son existence, il nous révèle ce qui avait pour Jésus la priorité, ce qui seul comptait à ses yeux. Bref, au cœur de ce chemin qui le conduit à la mort, il fait briller à nos yeux une nouvelle vie, celle qui ne peut s’éteindre, la vie même de Dieu, celui que Jésus appelait Père et qui a joué sa propre destinée dans la passion qui habitait le cœur de son Fils.

Ressusciter commence donc là. Parler de la vérité de la résurrection de Jésus commence là aussi. Plus nous creusons et approfondissons, à notre manière, avec nos limites et nos enthousiasmes, notre relation à cette force vitale qui habitait Jésus au moment le plus crucial de son histoire, plus nous en vivons nous-mêmes, plus nous laissons Jésus, à sa manière, changer notre cœur, et plus nous offrons à Jésus la chance de se rendre visible et perceptible à nouveau. C’est ce que dit Maître Eckhart : laisser Dieu engendrer en nous sa vie, laisser Dieu engendrer en nous son Fils. Autrement dit, le laisser apparaître, si peu que ce soit, en nous et par nous.

C’est ce que dit autrement le psaume 33 : Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur. « Comme est bon », en hébreu, cela signifie : comme cela est capable de donner sens. Seul notre Dieu peut ouvrir notre vie à un sens nouveau, à son sens véritable, à sa dimension d’éternité. Que la saveur du don de notre Dieu, qui donne à chaque vie une saveur nouvelle, soit pour tous source de joie et de paix.

Fr. Étienne Demoulin

Lectures de la messe :
Ac 2, 42-47
Ps 117
1 P 1, 3-9
Jn 20, 19-31

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