L’intitulé de la fête d’aujourd’hui attire inévitablement notre regard vers le haut, signe d’une reprise de courage et de vision. Une antienne revenant de temps en temps dans notre liturgie évoque bien le décollement d’une épreuve dans un mouvement ascensionnel qui redonne espoir: « Redressez-vous, levez la tête, car votre délivrance est proche ».
« Le ciel est, par-dessus le toit, si bleu, si calme, soupirait Verlaine du fond de sa prison, encore sous le poids de souvenirs non pardonnés ». Et c’est vrai, le prisonnier, agrippé aux barreaux de sa cellule voit le ciel comme la promesse d’une liberté inaccessible et, pourtant, toujours désirée.
Redessiner un mouvement imaginaire vers le haut dans notre conscience peut devenir une ligne de vie, nourrissant à nouveau la volonté. Les apôtres regardant le ciel, ne vivent pas cette séparation comme un drame. Ils ne ressentent pas ce départ comme un vide insupportable ni comme une vacuité qui aurait tôt fait de leur ouvrir les portes d’un désœuvrement sans but. L’événement de la Résurrection les nourrit d’une confiance inédite. L’absence-présence de Jésus les convoque à une nouvelle responsabilité. Ils n’ont pas le temps de tomber dans le moindre narcissisme, car ils sont appelés communautairement et personnellement à appartenir à l’Église naissante et à se dévouer à sa cause. Et ainsi le bleu du ciel apparaît. Et qu’est-ce que le bleu du ciel, si ce n’est l’obscurité devenant visible, selon Claudel.
Le ciel était encore gris, quand, au 5ème dimanche, nous entendions Thomas dire: » Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas … » et Philippe d’ajouter: » Montre-nous le Père … » À présent, avec Jésus, nous prenons de la hauteur et relisons l’Histoire.
Dieu a écrit son nom et laissé traces de sa beauté dans la Création en nous la confiant. Par la première alliance, à travers les patriarches, les prophètes et les acteurs inspirés des Écritures, il nous a adressé une longue lettre d’Amour. Enfin, en nous envoyant son Fils, il nous a rejoints au plus profond de notre humanité pour notre vie et notre salut. C’est le mouvement ascensionnel de la révélation de Dieu. Pourtant, c’est la phase descendante, son Fils a été fixé au bois de la croix, éliminé, mis à mort ; son peuple a été l’objet d’un implacable génocide dans ce que l’on a nommé la Shoah, comme s’il eut fallu éradiquer jusqu’au dernier témoin de l’alliance ( et les chrétiens n’auraient sans doute pas tardé à suivre leurs frères aînés dans cette logique exclusive du nazisme ). Enfin sa Création, aujourd’hui, a commencé son agonie sous les blessures de la convoitise sans borne des systèmes économiques et politiques de notre temps. Devant la radicalité de ce triple refus, nous pourrions être tentés de sombrer dans le défaitisme, sentiment d’échec encore accentué par les événements actuels aux relents apocalyptiques. Mais ce serait oublier qu’au sommet de la courbe se tient le Christ dont la mort a été proclamée, dont la résurrection et l’ascension tirent vers le haut toute l’histoire de l’humanité. Comme le fil écarlate à la fenêtre de Rahab, un fil rouge, révélant le Royaume, traverse toute l’Histoire et est arrimé aujourd’hui dans le Ciel.
En retournant au Père, le Christ introduit au cœur de la Trinité notre ADN, notre nature humaine profonde. Ainsi est accompli et révélé notre but ultime, le telos de notre existence individuelle et collective. Le croyant peut ainsi relire l’histoire et son histoire en y découvrant l’action de Dieu cachée et pourtant lumineuse du surplus de sens sur le non-sens: » Là où le péché abonde, la grâce surabonde ». Voilà la cordée qui nous élève à sa suite.
Néanmoins, après avoir regardé le ciel, il nous reste à discerner la trace de cette surabondance dans la vie quotidienne, dans nos relations, dans nos activités, et ainsi à le reconnaître avec nous, chaque jour, jusqu’à la Fin.
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
Ac 1, 1-11
Ps 46 (47), 2-3, 6-7, 8-9
Ep 1, 17-23
Mt 28, 16-20