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L’évangile de Marc nous dit aujourd’hui que Jésus, alors qu’il venait d’être baptisé, fut aussitôt poussé par l’Esprit au désert.

Même si le baptême de Jésus correspond avec son entrée dans sa vie publique, il n’est pas immédiatement sorti pour aller proclamer la Parole dans le monde, il a vécu un temps d’arrêt pour se laisser d’abord unifier par Dieu au désert.

Il fut envoyé dans le désert pour retrouver un espace intérieur et se mettre en présence de Dieu.

Je reconnais qu’il est un peu incongru de parler de désert dans un temps où nous n’ avons pas l’impression d’en sortir … Car un désert social, comme celui que nous connaissons, peut avoir des conséquences très concrètes et imprévues dans une vie. Il est vrai que tout temps de désert est aussi un temps de combats et d’épreuves ; et Jésus n’a pas été épargné par Satan, l’Adversaire, qui l’a mis devant sa responsabilité de Fils de Dieu. Sans doute est-ce l’invitation qui nous est faite durant ce temps de carême. Être mis devant notre responsabilité de chrétiens. Suivre Jésus, c’est aussi le suivre au désert et accepter de faire face à la tourmente des démons qui veulent nous éprouver, pour approfondir ou éliminer nos convictions de croyants.

Le mot désert est très proche du mot désir. Le carême est un temps pour retrouver son désir. A notre baptême, le désir de Dieu nous a inondés. Mais la vie, les occupations diverses et les besoins fonctionnels nous dispersent et peuvent nous éloigner de notre véritable désir. Jésus, en se laissant pousser par l’Esprit, s’est laissé rejoindre par Dieu dans son désir d’être avec lui. Il ne s’agit pas d’une résolution courageuse, mais plutôt d’un abandon sans résistance à la conduite intérieure divine. Seule celle-ci permet de descendre dans le silence, au fond de soi-même pour rejoindre les racines de notre existence, de notre être.

Un peu comme une aventure spéléologique, descendre au fond de soi-même nous oblige à nous regarder avec vérité et à être ouvert à quelques surprises qui pourraient nous faire peur, mais qui ne sont pas là pour nous décourager, plutôt pour attiser notre désir d’une rencontre authentique.

L’évangile nous dit que Jésus vivait parmi les bêtes sauvages et les anges le servaient. Que signifient ces bêtes sauvages? Je crois que dans notre contexte de descente en nous-mêmes, ces bêtes représentent toutes les tensions ou les tentations qui font du bruit dans notre âme intérieure. Et si on se réfère à certains mythes ou contes populaires, les héros qui partent délivrer le monde du dragon et de ses démons, commencent non pas par exterminer les animaux, mais par les respecter et s’en faire des alliés.

Habituellement, on pense que l’homme doit tuer l’animal en lui. Effectivement, Matthieu et Luc, (les) représentants de la tradition ultérieure de Marc, décriront cette scène dans le désert sous la forme de victoire sur le démon. Car, au démon, il suffit de dire « arrière », mais l’animal en l’homme n’a en lui-même rien de mauvais ni de démoniaque qu’il faille ainsi le repousser. Tout l’art consiste, non à chasser ou à exterminer en nous les animaux, mais à leur permettre de vivre et de servir. Un peu comme le livre de la Genèse nous rappelait que Dieu établit son alliance avec l’homme, ses descendants et avec tous les êtres vivants sur la terre. Nous sommes comme une arche où doivent habiter ensemble le lion, l’agneau et tant d’autres qui constituent notre personnalité.

Il y a en effet en nous une énergie, des forces qui ne sont pas mauvaises en soi. Les pulsions comme les sensations de toutes sortes doivent sans cesse être éduquées et comprises pour être harmonisées et permettre la sociabilité, la rencontre de l’autre et la paix intérieure. Cela pour éviter de tomber dans un chaos où toutes les valeurs s’écrouleraient, où il n’existerait plus de morale, c’est-à-dire un art de vivre avec soi-même et avec les autres.

Dans ce sens, le carême peut être un temps où nous nous interrogeons sur nos manières de vivre nos relations. Servent-elles à me faire grandir dans mon appel initial ( familial, communautaire) ou contribuent-elles à me séparer de ma vocation en me polarisant uniquement sur moi-même, sur ce que je vis? Comment puis-je retrouver ce désir d’aimer Dieu, d’aimer l’autre en contribuant à sa recherche de bonheur?

L’évangile se termine sur un appel de Jésus à se convertir et à croire à la Bonne nouvelle de l’évangile. Il y a dans cet appel, une conviction profonde de Jésus à mettre la paix et la liberté en nous. La paix et la liberté sont les fruits de notre séjour dans le désert.

Le temps d’arrêt que nous vivons depuis trop longtemps dans la société démobilise beaucoup de personnes dans leur vie. Que le souvenir des grandes crises de l’histoire augure l’espoir d’un avenir nouveau et augmente notre désir de vivre et d’aimer.

Fr. Pierre Gabriel

Lectures de la messe
Gn 9, 8-15
Ps 24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9
1 P 3, 18-22
Mc 1, 12-15

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Prière inspirée des lectures

Seigneur, c’est toi qui l’as dit lors de ta tentation au désert :

L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.

Ce temps de carême que tu offres à ton Église n’est pas un temps de carence, comme une fausse étymologie pourrait nous le laisser penser. C’est au contraire un temps d’abondance, une cure de jouvence, pour peu que, laissant derrière nous nos fausses sécurités, nous acceptions de te suivre au désert :

  • là où, comme dans la vision du prophète Osée, tu veux à nouveau nous séduire en parlant à notre cœur ;
  • là où, comme au temps de Moïse, tu nous donnes au jour le jour une nourriture inespérée et substantielle ;
  • là où, comme dans l’Évangile, tu multiplies les pains pour rassasier tes disciples.

Seigneur, tu es pour nous le Pain de Vie. Celui qui vient à Toi n’aura jamais faim, et celui qui croit en Toi n’aura jamais soif.

Et si nous sommes en ce moment privés de la communion eucharistique et de la communion fraternelle, nous savons qu’en faisant ainsi grandir notre désir de Te recevoir dans le pain consacré, en creusant notre soif de pouvoir à nouveau Te célébrer ensemble, c’est Toi-même qui nous façonnes de l’intérieur. Comme un artisan-fondeur, tu cisèles en creux le moule qui Te permettra de réaliser un jour en nous Ton image .

L’attente fervente de l’être aimé, nous suggère le Cantique des cantiques, est déjà une forme de communion à lui au cœur de l’absence.

Pistes de réflexion pour la semaine

Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche.

Les premiers chrétiens pensaient que la fin des temps était pour demain ou après-demain. Deux mille ans plus tard, nous serions tentés de croire que l’annonce de Jésus a fait long feu. Mais de quel temps et de quel espace s’agit-il ? Nous le savons : le temps de notre vie terrestre est mesuré mais en même temps élastique selon nos perceptions du moment présent et, en amour ou en amitié, il y a des proximités qui échappent aux contingences spatio-temporelles. Dieu se fait proche de nous, ici et maintenant ; c’est le moment favorable, l’occasion à saisir, ne la laissons pas échapper, mettons ce temps de carême à profit pour lui donner de l’espace et du temps dans nos vies.

Je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants.

Les premières lectures de ce carême année B évoquent les alliances successives conclues entre Dieu et l’humanité, Noé après le déluge, Abraham après le sacrifice d’Isaac, Moïse et le peuple lors de l’Exode, la nouvelle alliance au retour de l’Exil grâce au roi Cyrus, et finalement l’alliance spirituelle évoquée par Jérémie, préfiguration de la nouvelle alliance inaugurée par Jésus. Notre Dieu est soucieux de renouveler son alliance avec chaque génération, mais il cherche aussi à entrer en alliance à chaque être humain-, avec chacune et chacun d’entre nous. Prenons le temps de nous souvenir, à notre tour, des gestes d’alliance avec Dieu qui ont jalonné notre propre vie.

Le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ.

Parmi ces gestes d’alliance, il y en a un qui est fondateur, notre baptême. Certes, pour la majorité d’entre nous, nous n’en avons aucun souvenir puisque nous étions bébés. Mais cela ne doit pas nous empêcher pour autant d’en faire mémoire. Depuis ce jour-là, notre existence est intimement liée à celle du Ressuscité, elle est « engagée » au sens où des époux se donnent, par le sacrement de mariage, des « gages » de leur amour mutuel. Ce temps de carême prendra fin par la Vigile pascale, au cours de laquelle nous serons invités à renouveler notre baptême dans la mort et la résurrection du Christ par une profession de foi solennelle. Mettons à profit les semaines qui viennent pour restaurer en nous, autant que besoin, cette « conscience droite » qu’évoque Saint-Pierre dans sa lettre.

Pierre Boland

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