Une veillée œcuménique de prière a eu lieu, ce 19 janvier 2017, au temple protestant de Malmedy, dans le cadre de la Semaine pour l’Unité des chrétiens. Plusieurs frères de la communauté y ont participé. Vous trouverez ci-après le texte de l’homélie prononcée à cette occasion par Heike Sonnen, Pasteure de l’Église protestante unie de Belgique (communautés de Verviers-Laoureux et Spa).

Comme le passage biblique proposé cette année (2 Co 5, 14-20) nous vient d’Allemagne, j’aimerais commencer par une petite séquence autobiographique.

En 1988, j’ai passé toute l’année scolaire dans une famille canadienne, au Québec. Comme j’étais d’origine allemande, le professeur d’histoire, passionné pour les questions politiques, adorait m’expliquer ses théories sur l’Europe. Par exemple, que bientôt le mur entre la R.F.A., la République Fédérale d’Allemagne, et la R.D.A., la République démocratique Allemande, allait disparaître et que l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est verraient le jour de leur réunification.

J’avais 16 ans, et je souriais des idées complètement folles et naïves de ce professeur d’histoire. J’avais grandi dans une Allemagne divisée et une partie de ma famille, que je n’avais jamais vue, vivait en Allemagne de l’Est. Pour moi, le mur de Berlin, la frontière entre les deux Allemagne, et le rideau de fer derrière, me semblaient établis, construits pour l’éternité. Un mur insurmontable, inébranlable. Point barre.

10 mois plus tard, le mur tombait …

(Pause)

La chute d’un mur inébranlable : voilà une parabole qui pourrait nous aider à mieux comprendre la vie.

Dans un sens négatif tout d’abord. Plus vite que nous le souhaitons, les constructions qui nous sécurisent, nos réseaux de relations, nos piliers – comme le travail, la santé, les constructions de pensées qui donnent sens à notre vie – peuvent s’écrouler . Un événement subit suffit parfois pour tout bouleverser.

Toutefois, dans un sens positif, cela peut vouloir dire que jamais une séparation, une dispute, une différence, un mur qui fait obstacle, n’est condamné à être une source de division pour toujours.

(Pause)

Pensez un instant à l’époque où catholiques et protestants changeaient de rue dès qu’ils s’apercevaient de loin sur le même trottoir ; rappelons-nous l’époque où un mariage mixte entre catholique et protestant représentait une catastrophe ou une honte pour les familles, des deux côtés … Une soirée comme celle d’aujourd’hui était alors impensable, inimaginable, pure folie …

Qui, au moment des guerres de religions au seizième siècle, aurait osé imaginer qu’un jour, un pape accepterait l’invitation des églises luthériennes à une prière œcuménique comme ce fut le cas l’année passée, quand le pape François s’est rendu en Suède le 31 octobre 2016 à l’invitation de la Fédération mondiale luthérienne à l’occasion du lancement de la commémoration du 500e anniversaire de la Réforme luthérienne.

Je voudrais vous citer un passage de la «  Déclaration conjointe », qui a été signée à l’occasion de cette prière œcuménique, pour vous montrer à quel point les briques du mur de séparation se sont transformées en briques pour construire des ponts :

« Nous nous sommes rapprochés les uns des autres à travers le service commun à nos prochains – souvent dans des circonstances de souffrance et de persécution (on voit l’aspect de la croix, symbole de la souffrance, qui a contribué au rapprochement). Grâce au dialogue et au témoignage partagé, nous ne sommes plus des étrangers les uns pour les autres. Plutôt, nous avons appris que ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous divise.“ 

(Pause)

 Les murs tombent, des brèches s’ouvrent, le silence glacial se transforme en partage, des personnes se rapprochent. Quel pourrait bien être le moteur, la motivation, pour transformer les murs de séparation? Pour ceux et celles qui veulent suivre le Christ, qui adhèrent à Jésus Christ, cette question ne se pose même pas ! L’amour du Christ nous y PRESSE !

Dans le passage de l’Écriture proposé pour l’ensemble de la Semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens (2 Co 5, 14-20), nous ne sommes pas invités à prendre le temps de réfléchir à la réconciliation. Non ! L’amour du Christ nous y presse, nous y pousse. Il est impossible de s’y opposer. Cela va de soi, nous sommes pris dans un torrent d’amour qui nous enlève avec lui vers la réconciliation.

(Pause)

Olala, quelle affaire, allez-vous peut-être me dire : on nous presse ! On nous pousse ! On nous oblige ! Mais nous n’aimons pas prendre des risques incontrôlés, sans une approche raisonnable. Ralentissons, prenons d’abord le temps de mieux comprendre ce que l’apôtre Paul écrit et, surtout, pourquoi il le dit …

(Pause)

Dans cette deuxième lette aux Corinthiens, c’est un autre apôtre que nous rencontrons. Ce n’est plus le jeune homme, enthousiaste et zélé, qu’il était après sa conversion, prêt à parcourir le monde entier pour le Seigneur. Son ton a changé: il est devenu un apôtre qui certes n’a pas perdu la persévérance, mais qui a été éprouvé, confronté aux difficultés, aux souffrances, aux menaces de la mort (2 Co 1, 8-9). C’est un apôtre qui, après avoir fondu la communauté de Corinthe, est confronté aux divisions à l’intérieur de la communauté ; il est même contesté et mis en question par une partie de ses membres. Ceux-là pensent qu’il ne manifeste pas assez de puissance spirituelle, de charisme, de dons de l’Esprit.

De loin, en écrivant ses lettres, Paul essaie de défendre son ministère et d’expliquer sa motivation centrale : annoncer le Christ ressuscité qui restera toujours un Christ portant les traces de la croix. Même s’il déclare être toujours aussi courageux, Paul vit dans la perspective de la mort ; il pense même que la mort pourrait lui apporter un soulagement (2 Cor 5: « nous souhaitons vivement revêtir notre domicile céleste par-dessus de notre domicile terrestre »). Nous entendons un apôtre qui se prépare intérieurement à faire le bilan de sa vie, à pouvoir se tenir droit devant le Christ lorsqu’il portera le regard sur sa vie.

Face à cette communauté déchirée, en partie hostile, face à sa propre vie qui est limitée, l’apôtre Paul cherche à concentrer sa mission, et ainsi la mission de chaque croyant. Comme s’il voulait dire : « Voilà la raison pour laquelle nous vivons : Nous sommes des ambassadeurs. Des ambassadeurs de la réconciliation. »

Réconcilier (du latin re-con-ciliare) veut dire : remettre ensemble ce qui était séparé, reconstituer, ramener, rendre bien ce qui était mal. On peut se réconcilier avec l’autre, se réconcilier avec sa propre vie et se laisser réconcilier avec Dieu.

Mais toujours, c’est l’amour du Christ, sans condition et sans jugement, qui est la cause, la source, le fondement. L’amour du Christ, c’est est aimer une vie authentique, en lien étroit avec Dieu, vécue pour les êtres humains, en accord avec le projet de Dieu, qui n’a pas cessé devant la mort.

L’apôtre Paul suit la logique de la pensée orientale qui a toujours une dimension communautaire. «  Celui qui sauve un être humain, sauve le monde entier », dit un proverbe juif. Tout est lié. Tout ce que je fais, a une dimension universelle et concerne toute la collectivité. C’est ainsi que Paul écrit : « Si un seul est mort pour tous, ils sont tous morts. »

(Pause)

Souvent, celui et celle qui vient d’échapper à la mort, que ce soit après une longue maladie ou après un grave accident, n’est plus la même personne. J’ai rencontré des personnes après de telles circonstances, qui avaient un grand rayonnement intérieur. Leurs priorités dans la vie avaient changé, chaque jour étant redevenu un cadeau. Elles vivaient dans le présent. De même, dans la foi, ayant traversé la mort avec le Christ, notre perspective n’est plus la même : « Que désormais, que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes mais pour celui qui est mort et ressuscité. »

Nous revivons autrement, nous redevenons nous-mêmes, nous sommes re-donnés à la vie et aux autres. Nos priorités changent: « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées, Voici toutes choses sont devenus nouvelles. » L’expression « être en Christ » fait allusion à une conception de l’espace. Derrière elle, se trouve la conviction qu’on peut être véritablement ancré dans le Christ, comme enraciné dans la terre, qu’on peut appartenir à un nouveau territoire, à un nouveau domaine de puissance.

« Être nouvelle création », (« Ktisis » en grec,) résulte d’une action qui est exclusivement réservée à Dieu. Dieu seul peut faire surgir quelque chose de complètement nouveau. Sa création se réfère au monde entier et à toutes les créations vivantes de sa planète : plantes, animaux, êtres humains. Dans la foi en Jésus Christ, nous respirons l’air frais de la nouvelle création, nous en faisons partie.

(Pause)

Par contre, dans la vie concrète, j’observe souvent que les transformations demandent du temps. Cela prend du temps pour voir comment la dimension de l’amour, de la réconciliation, de la nouveauté en Dieu prenne forme.

Je pense à un des éléments qui ont contribué à ce que le mur de Berlin et la frontière entre les deux Allemagne tombent – et ceci d’une manière pacifique. Dès le milieu des années 1980, donc quelques années AVANT la réunification, des prières pour la paix avaient été organisées par deux pasteurs à l’église Nicolas de Leipzig, une ville d’Allemagne de l’Est.

Au début, l’église avait était juste été ouverte pour encadrer quelques étudiants, pour canaliser leur demande spontanée de liberté. Mais face à la ferveur de leur prière, le pasteur proposa d’organiser une prière pour la paix et la liberté régulièrement. Chaque lundi, le nombre de fidèles et de futurs manifestants s’est accru. L’exemple polonais, où l’Église catholique soutenait le combat pour la liberté devenait contagieux. Les dernières semaines, avant l’ouverture des frontières en 1989, jusqu’à 200.000 manifestants sortaient paisiblement après la prière dans les rues, tenant des bougies et proclamant : « Nous sommes le peuple. »

Voilà un des exemples où, avec l’aide de l’esprit de le réconciliation, avec l’Esprit qui souffle où il veut, l’église a contribué à un mouvement paisible pour plus de démocratie.

« Tout cela vient de Dieu, écrit l’apôtre Paul, qui nous a réconciliés et a réconcilié le monde avec lui-même »

La dynamique est toujours la même: Tout part de Dieu : L’amour. Le rapprochement. La réconciliation. La nouveauté dans notre vie. Et tout retourne vers lui. Nous sommes pris dans cette dynamique, si nous nous laissons enraciner dans le Christ.

(Pause)

Nous avons vu comment le mur de la division a été construit, quels éléments ont contribué à agrandir la distance entre les êtres humains. C’est une démarche essentielle, pour démonter les murs, de comprendre comment les séparations s’installent. Il y a des attitudes qui créent une barrière entre nous et les autres, auxquelles nous pouvons être attentifs chaque jour de notre vie : le manque d’amour, l’hostilité, le mépris, l’orgueil. Souvent ces attitudes sont dues à la peur, à notre propre peur de rencontrer l’autre qui est différent. La peur peut prendre des formes caractéristiques pour toute une société, et nuire ainsi au vivre ensemble : cela se traduit par des discriminations, de fausses accusations. D’autres éléments du mur touchent le niveau de la gouvernance du monde, et concernent les personnes qui détiennent le pouvoir politique ou ont un rôle clé dans les hiérarchies : on songe aux guerres de religions, aux abus du pouvoir, à l’intolérance.

(Pause)

Un mur, celui de Berlin, est tombé, d’autres murs sur notre terre continuent à exister : des murs visibles comme entre la Corée du Nord et Corée du Sud, entre le Mexique et les États-Unis, entre Israël et la Palestine, sur l’île de Chypre, en Irlande de Nord, à travers la ville de Belfast. Mais des murs invisibles sont aussi élevés, comme entre les riches et les pauvres, murs qui divisent l’humanité de plus en plus. Selon le journal du 17 janvier : les 8 personnes les plus riches du monde possèdent la moitié des richesses mondiales, tandis qu’une personne sur dix dans le monde vit avec moins de 2 dollars par jour !

Toutefois, voici la bonne nouvelle de l’évangile. Aucun mur n’est condamné à rester un mur pour l’éternité. Ne sous-estimons pas le pouvoir du peuple, du consommateur, des pétitions, des manifestations. Ne sous-estimons surtout pas la force subversive de notre Royaume, qui est le royaume de Dieu.

Nous en sommes un élément et notre manière d’être et de vivre avec nos frères et sœurs en humanité peut contribuer, et même être décisif, pour réconcilier et guérir nos communautés brisées. Car, tel est en somme notre mandat : être ambassadeur pour le Christ, ministres de réconciliation. Un ambassadeur vit en dehors des frontières de son pays, il le représente, avec ouverture, finesse, diplomatie, sagesse, loyauté et fidélité.

Nous sommes ambassadeurs du Royaume de Dieu, nous représentons le Christ et ses valeurs : l’amour, la justice, la joie, la paix, la réconciliation. Soyons donc ambassadeurs du Christ, et commençons ainsi, par nous-mêmes : laissons-nous réconcilier avec Dieu.

Amen.

Heike Sonnen, pasteure

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