Vigile et messe de la nuit
Quand l’être humain oublie sa dignité profonde, il se quitte lui-même, sort de lui-même, n’habite plus avec lui-même, commence à errer et à faire n’importe quoi.
C’est ce qui arrive à la fille de Sion dont on parle dans les Lamentations « Elle est tombée bien bas la fille de Sion. Personne pour la consoler ». Elle est tombée si bas qu’on peut vraisemblablement penser que personne ne pourra aller la rechercher, la récupérer, la ramener à la vie.
C’est ce qui nous arrive aussi quand nous choisissons la mort plutôt que la vie, quand nous ne savons plus faire la différence entre les deux et que nous nous fourvoyons dans des situations inextricables, jusqu’à un gouffre de non-retour.
Mais la nuit que nous célébrons nous rappelle et nous enseigne que rien n’est définitivement perdu pour Dieu, qu’il n’y a pas d’irrécupérable.
» Mon Dieu, mon Dieu en vue de quoi m’as-tu abandonné ? » Ne fallait-il pas que le Digne par excellence, le Roi, le Fils de Dieu descende volontairement jusqu’au lieu d’anéantissement symbolisé par les portes des enfers ? Portes qu’il va briser.
Il faut être intérieurement grand et noble pour accepter de n’être pas grand-chose ou même rien sur un plan extérieur.
En cette nuit, le Christ fait cela : il descend de son plein gré dans nos bas-fonds et nous revêt de l’habit princier en nous disant : » Souviens-toi que tu es de lignée royale »
Recevoir cette identité de fils et de fille nous relève, nous remet dans la vie, nous redonne une responsabilité qui nous fait lâcher toutes nos illusions, nous donne le goût d’une vie ajustée à la Parole dans l’Esprit Saint
Cette présence et confiance retrouvée en un lieu où le mal essayait de nous faire croire que l’isolement est éternel, nous fait remonter en surface avec le Christ au sommet de notre désir de relations : l’amour du Père et le partage de sa vie dans l’Esprit.
Descendre et monter, plonger et surgir, advenir. Cette réalité est celle de notre baptême, celle du baptême de Lara, cette nuit, qui nous rappelle le nôtre et fait de nous une famille, un peuple en marche
Celui qu’on avait crucifié, Dieu l’a relevé, la relève est un autre mot pour dire la Résurrection. Par ton baptême Lara, tu es appelée à vivre en prophétesse, en prêtresse et en reine.
Fr. Renaud Thon
Messe du jour
C’est le premier jour de la semaine, le moment où le jour commence à poindre. Il y a une atmosphère de ferveur joyeuse, de secrète espérance. Tout le monde court en ce matin de Pâques : Marie Madeleine, Pierre et l’autre disciple, Jean, celui que Jésus aimait.
La vision du tombeau vide, où ne restent plus que les linges dans lesquels avait été enveloppé le corps de Jésus, produit des résultats différents chez les deux apôtres. Pierre « s’en retourne, dans l’étonnement de ce qui était arrivé ». Quant à Jean, « il vit et il crut ». Les traces étaient cependant suffisantes pour étonner Pierre et pour susciter la foi de Jean. Ce qu’ils voient au sépulcre n’est pas une évidence aveuglante de la Résurrection. Ce sont des indices qui incitent à croire. Mais pourquoi une réaction si différente entre les deux disciples. Pierre ne semble pas encore prêt, alors que Jean pressent, même s’il ne le réalise pas encore clairement, le sens de ce qu’il découvre. Pierre s’en retourne, étonné, alors que le disciple bien aimé semble saisi par l’inouï de l’évènement.
Pierre en se penchant voit les linges : il a analysé la situation, il cherche à comprendre et veut trouver une explication. Jean, lui, a réagi spontanément. Il fait confiance à son intuition et revoit comme en un éclair tout ce qu’il a vécu avec Jésus. Pierre est sur le registre de la connaissance alors que Jean est sur celui de la relation vécue avec Jésus. Il faut Pierre et Jean. Il faut le regard d’un cœur aimant, il faut l’attitude plus réfléchie de Pierre qui prend distance et qui plus tard exprimera avec force le message pascal.
A ce sujet, je voudrais évoquer un témoignage d’Édith Stein qui pour moi est éclairant. Édith, en tant que philosophe, disciple de Husserl, cherchait passionnément la vérité dans l’étude et dans les livres. Un jour, Edith qui se disait alors athée, se trouvait un peu par hasard seule dans une église pour en admirer la beauté, quand soudain entre une paysanne revenant du marché avec ses achats. Tout naturellement, elle dépose ses deux paniers et va s’agenouiller devant le saint-Sacrement. Édith reste médusée. Elle comprend que cette femme vient pour se recueillir devant Dieu quelques instants, et cela au milieu de ses activités et de façon spontanée et naturelle, simplement pour une rencontre avec son Seigneur. Édith en est bouleversée. Elle découvre qu’être chrétien c’est avoir une relation personnelle et toute naturelle avec l’Eternel, avec Dieu, comme pour un entretien intime. Cette attitude à la fois si grande et si simple l’émeut profondément : « je n’ai jamais pu l’oublier », dira-t-elle.
Jusque-là elle est athée. La seule question qu’elle se pose : quelle est la bonne méthode pour parvenir à une certitude, à quelque chose de solide sur quoi construire sa vie ? Plus tard, elle prend au hasard un livre dans la bibliothèque de ses amis. Le livre s’intitule « Vie de Thérèse d’Avila par elle-même ». Elle le lit d’une traite toute la nuit et au petit matin se dit : « c’est la vérité ». Jusque-là, écrit-elle, j’avais cherché la vérité dans la philosophie, dans la vérité objective des choses. Avec Thérèse, je découvrais la vérité de l’amour qui n’est pas d’abord connaissance mais relation. Thérèse m’avait ouvert le chemin de la foi.
Le cri de Pâques « Christ est ressuscité » nait d’un attachement vivant à la personne de Jésus et pas d’abord d’une connaissance. Pour le disciple que Jésus aimait, la vue du signe a suffi pour qu’il accède à la foi. Il a cru à la réalité de la victoire de Jésus sur la mort, peut-être parce qu’il avait déjà pressenti, dans la manière dont Jésus était mort, la victoire absolue de l’amour (Jn 19,35).
Pourtant, « Jusque-là, les disciples n’avaient pas encore vu que, d’après l’Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». La compréhension par l’Ecriture comme ayant attesté par avance le mystère du Christ et sa résurrection, viendra plus tard. Ce sera un des fruits du travail de l’Esprit-Saint dans la communauté, à partir de la Pentecôte. C’est alors que pour les disciples, l’Ecriture va donner tout son éclairage à la foi en la résurrection. Toute l’histoire sainte sera relue à la lumière du Christ ressuscité.
Notre condition est assez semblable à celle des deux disciples, présents au sépulcre. Nous ne jouissons pas d’une vision directe du Seigneur, mais nous apercevons certaines traces laissées par lui. Encore faut-il, pour les reconnaître, des cœurs préparés : comme eux être animés d’un grand désir, avec un cœur aimant, capable de s’étonner et de s’émerveiller devant ce qui reste caché à nos yeux de chair. La résurrection du Seigneur peut devenir une expérience quotidienne dans la mesure où la préparation du carême a développé notre attente, et si nous savons ouvrir les yeux et reconnaître les traces du passage du Ressuscité. Comme les disciples au sépulcre, nous ne sommes pas témoins d’une évidence aveuglante de la résurrection. Nous n’avons d’abord que des indices qui incitent à croire.
« Il vit et il crut ». On peut aussi retourner la phrase : « il crut et il vit ». Saint Anselme et bien d’autres après lui ont souligné qu’il faut croire pour voir. Et c’est vrai que si on fait le saut de la foi, si on pose un regard de croyant sur notre vie et ce qui nous entoure, nous verrons alors des signes partout de la présence du ressuscité. Et le plus tangible c’est peut-être celui d’une assemblée réunie en son nom, comme en ce matin de Pâques.
Fr. Bernard de Briey
Lectures de la messe :
Ac 10, 34a.37-43
Ps 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23
Col 3, 1-4 ou 1 Co 5, 6b-8
Jn 20, 1-9