Un jour, une maman se trouvait sur la plage avec son enfant différent, il habitait le pays de l’Autistan pour reprendre les mots de Josef Schovanec. Et la maman lui demande de dessiner une maison sur le sable, l’enfant dessine la maison, puis une fleur, l’enfant dessine la fleur, puis la maman lui demande de dessiner le bonheur, alors l’enfant tourne son visage à droite et à gauche et dit à sa maman: « il n’y a pas assez de place ».
Les textes de la liturgie de ce jour nous montrent chacun à leur manière que le bonheur provient de notre proximité avec Dieu. Jérémie dira: « béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur ». Il sera comme un arbre planté près des eaux.
Le psaume 1 reprend la même image que Jérémie: heureux l’homme qui met sa foi dans le Seigneur. Avoir la foi signifie s’appuyer sur. Remarquons au passage que le mot heureux est le premier mot du premier psaume, ainsi tout le psautier exprimera la relation de l’homme avec Dieu, et plus la relation sera étroite, plus l’homme en sera heureux.
Si le premier mot du premier psaume du psautier est « Heureux » cela signifie que le psalmiste a compris que Dieu voulait notre bonheur; c’est la chose la plus importante qu’il a voulu dire pour commencer ! Pour comprendre le sens du mot « heureux » dans la Bible, il faut penser aux «félicitations» que nous nous adressons les uns aux autres dans les grandes occasions : quand nous recevons un faire-part joyeux, de naissance ou de mariage, nous offrons aux heureux parents ou aux fiancés ce que nous appelons des « félicitations » : étymologiquement « féliciter » quelqu’un, c’est le reconnaître « felix », c’est-à-dire « heureux » et s’en réjouir avec lui.
Je me rappelle, au début de mon chemin à Wavreumont, un frère Philippe avait été envoyé au Pérou et il paraît que les péruviens l’avaient surnommé Féliz. C’est vrai qu’il n’était pas le plus triste de la communauté…
Comme on le souligne souvent, en hébreu, on traduit « heureux » par « en marche ». Cela nous invite à nous représenter l’histoire de l’humanité comme une longue marche : une marche au cours de laquelle les hommes sont à chaque instant invités à choisir leur chemin.
La Révélation biblique n’a qu’un seul objet, indiquer à l’humanité le chemin du bonheur que Dieu veut pour elle. C’est pourquoi elle est parsemée de multiples poteaux indicateurs ; le livre du Deutéronome, par exemple, a beaucoup développé ce thème : « Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur… Tu choisiras la vie » (Dt 30, 15. 19). « Tu écouteras, Israël, (Shema Israël) et tu veilleras à mettre les commandements en pratique : ainsi tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux. »
Le bonheur, être heureux n’est donc pas un état, mais un chemin.
Saint Paul dans la lettre aux Corinthiens vient élargir le bonheur aux dimensions du Christ en lui donnant un goût de vie éternelle. La confiance en Dieu n’assure pas seulement un bonheur pour les vivants, elle devient promesse de vie pour les morts. Avec ce passage de la lettre aux Corinthiens nous sortons des images bucoliques des prophètes pour nous retrouver tendus entre ciel et terre, et au cœur de cette tension se trouve le Christ. La résurrection du Christ n’est-elle pas la promesse du bonheur éternel pour tout le genre humain? Ici encore, le bonheur de Dieu est inséparable du bonheur de l’homme, le premier fonde le second. Et puis quand on croit (comme moi) que la vie éternelle commence déjà aujourd’hui, on comprend pourquoi le petit enfant trouvait qu’il n’y avait pas assez de place sur le sable pour dessiner le bonheur.
Dans l’évangile, Luc écrit qu' »en descendant de la montagne avec ses disciples, Jésus posa le regard sur une grande multitude de gens venus de partout. ». Nous observons déjà que Jésus ne s’adresse pas seulement à quelques apôtres sélectionnés et privilégiés: il parle au cercle élargi des disciples, et son discours commence par ces mots: « Heureux vous les pauvres ».
Tout est dit dans ces premiers mots, et la suite du texte ne sera que le déploiement de cette interpellation. Le bonheur et le pauvre, deux axes essentiels autour desquels s’articule son enseignement. Le bonheur dont parle Jésus ne peut se vivre qu’à travers le cœur du pauvre. Et la suite du texte ne sera que l’approfondissement de ce thème. En évoquant différentes images bien concrètes, Jésus nous dit qui est le pauvre pour lui.
Un jour, à l’Arche, une personne de la communauté écoutait une conférence qui avait pour thème « les jeunes et les pauvres ». A la fin de l’exposé, cette personne avec un handicap posa une question: vous parlez des jeunes, je comprends bien qui c’est, mais le pauvre, c’est qui? »
Cette question du « pauvre » nous donne la réponse. Le pauvre dans l’évangile est quelqu’un d’ouvert, qui accueille la parole, ou la vie de l’autre comme un don précieux et qui, osons le dire, ignore sa pauvreté. -On pourrait aussi développer la profondeur de l’humilité du pauvre-.
Jésus également est beaucoup plus simple que toutes les idées que nous avons sur lui et la voie qu’il nous propose pour être heureux n’est autre que celle-ci: « soyez ouverts, avancez et laissez-vous aimer. »
Fr. Pierre Gabriel
Lectures de la messe :
Jr 17, 5-8
Ps 1, 1-2, 3, 4.6
1 Co 15, 12.16-20
Lc 6, 17.20-26