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Petit à petit, le temps de Pâques nous conduit à un second sommet : le don de l’Esprit de sainteté, la fête de la Pentecôte que la tradition juive appelle « Matane Torah », le cadeau de la Torah, le cadeau de la vie promise à sa pleine humanisation.

Nous voici donc presque au milieu de cette dernière étape tout entière colorée par l’attente de la venue de l’Esprit, une sorte d’octave à l’envers, en somme, puisqu’elle précède la grande fête qui viendra clôturer le temps pascal et nous relancera de façon radicale et vigoureuse dans ce qu’on appelle le « temps ordinaire »… peut-être pas si ordinaire que ça, d’ailleurs, si on y réfléchit bien…

Tout au long de cette cinquantaine pascale, le livre des « Actes des Apôtres » s’est déroulé sous nos yeux, comme une longue tapisserie imagée, nous relatant les aventures extraordinaires de quelques uns des grands témoins de la rencontre du Ressuscité. Mais l’auteur de ce petit livre n’a peut-être pas pour intention de nous raconter les faits et gestes de Pierre, de Paul et d’autres encore. C’est l’action de l’Esprit, l’Esprit de sainteté, qui l’intéresse davantage, au point que l’on pourra dire que nous avons ici, après l’annonce de Jésus, une autre annonce, un autre évangile : celui de l’Esprit Saint.

Comment l’Esprit agit, comment, au travers des péripéties de quelques histoires particulières, ce même Esprit libérateur rayonne, depuis une province périphérique, jusqu’à atteindre le cœur de l’empire et y faire résonner sa Parole qui ne connaît pas de contrainte : voilà ce qui intéresse l’auteur des « Actes ». Comment l’Esprit procède, quel monde nouveau il se met à créer, voilà ce qu’il veut nous expliquer.

De la même manière que Jésus qui, aux moments les plus cruciaux de son procès, alors que, pieds et poings liés, toute résistance lui étant impossible, il a continué de manifester sa liberté spirituelle, et aux pires moments de sa passion, il a perpétué son œuvre de guérison et de salut, montrant ainsi que rien ne pouvait s’opposer à la force divine qui constituait le cœur de son existence, ainsi l’Esprit, rien ne peut le tenir enfermé, il ne se laisse emprisonner par rien. C’est un fil rouge intéressant, c’est, à mon avis, un élément essentiel de la trame narrative de ce récit : aucune prison, depuis celle dont Pierre a été mystérieusement tiré, ainsi que toutes celles que Paul a connues et qui nous conduisent jusqu’aux dernières lignes du texte, ne peuvent empêcher la Parole de se répandre ni sa puissance de rayonner. En ces moments de confinement et de quarantaine, il est important pour moi de me demander : Mais quels liens, quels murs, quelles prisons l’Esprit vient-il faire disparaître ? De quels enclos nous fait-il sortir ?

Ne venons pas trop vite avec des réponses simplistes. Plusieurs passages des écrits de saint Paul, par exemple, pourraient nous faire penser qu’il existe une opposition irréductible entre la liberté de l’Esprit et la loi. Comme si la loi, quelle qu’elle soit, n’est jamais qu’un obstacle à la vie. En d’autres termes, la loi tue tandis que l’Esprit fait vivre ; supprimons donc toute loi et nous serons libres. Est-ce bien cela que ces textes veulent dire ? La liberté ainsi conçue ne deviendrait-elle pas le royaume de l’arbitraire, du caprice et, au final, d’une violence sans limite ? Les paroles de Jésus sur le sabbat qui est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat, semblent corroborer cette lecture où loi et Esprit s’excluent. Mais avons-nous bien compris ?

On parlera ici plutôt de transgression. La où la vie l’exige, la transgression est nécessaire (dans le judaïsme, elle est même… obligatoire !). Il faut pouvoir alors contredire la loi, l’abolir en quelque sorte, parce qu’aucune législation ne peut devenir un absolu auquel tous doivent se soumettre. La loi n’est pas sacrée. Même une loi religieuse ne peut être ainsi divinisée. Mais, si on y réfléchit bien la transgression ne supprime pas la loi. La transgression ne s’érige pas en nouvelle loi. Elle indique peut-être une limite de la loi, mais ne s’y substitue pas ! En d’autres termes, la transgression a sans doute le mérite de rendre à la loi un statut qu’on est toujours tenté de lui refuser : en ce sens, la loi n’est pas avant tout un enclos, un système fermé, une sorte de certitude rassurante, qui apaise ceux qui s’y soumettent et va même jusqu’à donner sens à leur existence. La loi est avant tout une parole. Pour reprendre une idée géniale de Bergson, elle est de l’ordre de l’appel, et non du dressage. Elle porte une intention qu’elle nous soumet (et non le contraire) et vient donc ouvrir une question. Et la question n’est pas : mais comment donc appliquer le règlement ? C’est plutôt : comment entrons-nous en dialogue avec l’intention qu’exprime cette parole qu’est la loi ? Est-ce que nous entendons l’appel qui s’y cache ?

Une autre caractéristique de la loi, c’est qu’elle ne m’appartient pas. Elle naît dans un cadre collectif, petit ou grand, qu’elle aide alors à réguler. elle est indissociablement liée à un travail commun de construction du vivre ensemble. Sans doute n’est-elle pas toujours conforme à ce que j’aurais voulu, et la loi me demande à ce moment d’accepter de perdre mon ego, pour jouer le jeu commun. Mais, perdre son ego ne veut pas dire qu’on n’a plus rien à dire. De plus, je peux mettre mon ego dans le désir orgueilleux d’être moi-même la source de la loi, mais aussi, paradoxalement, dans le souci de faire respecter par tous les règles, sans négociation possible. Cette attitude légaliste est une autre forme de prise de pouvoir. Et l’autre, le concitoyen, le frère, où est-il ?

On a besoin d’un cadre qui rende la vie possible, sans que l’altérité soit effacée. Le respect de la loi commune est aussi une manière d’aimer et de prendre soin de la collectivité. Mais cela nous oblige à accepter chez nous une faille, un vide, une diminution de notre toute-puissance, bref, de ménager un espace où l’autre peut exister. Notre vulnérabilité devient une chance, elle détermine la possibilité de la rencontre et de l’amour. J’ose ajouter qu’elle est alors le lieu de l’irruption de l’Esprit, le lieu d’une vraie liberté en même temps que celui de l’accueil d’une Parole véritablement créatrice. Là se trouve le secret de la réponse à apporter à la loi, capable à la fois de la respecter, de l’entendre et de la dépasser.

Si la loi est sans faille, nous nous mettons alors sous l’abri d’une rationalité toute-puissante, protectrice, qui nous permet de vivre, mais qui, en temps de crise, manifestera son inadéquation. La loi devient un système de défense rigide, sécurisant, sans doute, mais qui ne pourra que se briser, tôt ou tard. Une loi de vie, n’est-elle pas précisément celle qui ne fait pas l’économie d’un lâcher prise, qui laisse exister un espace de risque, une espace de rêve aussi, dans lequel un Autre peut surgir, venir à notre rencontre et prononcer une Parole inattendue, libre, une Parole sur laquelle nous n’avons pas prise, capable de nous révéler enfin que nous sommes aimés, nous, indépendamment de toute loi.

Nous sommes tentés de vivre la loi sous le régime du contrat, du commerce, de la rétribution, de la formule : « j’ai droit à… » L’Esprit de sainteté nous conduit à découvrir que la loi peut se vivre comme don, comme grâce, ouverture à un face à face amoureux jamais déterminé, jamais achevé.

Lectures de la messe :
Ac 1, 15-17.20a.20c-26
Ps 102 (103), 1-2, 11-12, 19-20ab)
1 Jn 4, 11-16
Jn 17, 11b-19

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