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Voilà des textes forts, choquants même en ce qui concerne l’Évangile. Et ceux qui disent que le Dieu de l’Ancien Testament est un Dieu jaloux et vengeur alors que celui du nouveau est toute douceur sont invités à revoir leur jugement !

Commençons par Jérémie. Le prophète s’oppose à la politique du roi et se retrouve littéralement mis au trou, dans une citerne, condamné à la faim et à la mort, mais il est sauvé de justesse, par un étranger, soit dit en passant, un nubien de Khouss !

Le psaume, chanté ensuite, semble faire écho à cette lecture : « Le Seigneur m’a tiré de l’horreur du gouffre, de la vase et de la boue ; il m’a fait reprendre pied sur le roc, il a raffermi mes pas » (Ps. 39). Il pourrait évoquer effectivement la prière d’action de grâce de Jérémie, mais, plus largement, être notre propre prière lorsque nous aussi sommes au fond du trou.

En fait, la foi des croyants d’Israël repose sur cette certitude intérieure que le Seigneur, qui les a libérés de l’esclavage, entend leurs cris, peut les tirer de l’horreur du gouffre et les faire reprendre pied. Expérience fondatrice, devenue terre nourricière, pour tant d’hommes et de femmes en proie à une épreuve qui les bouscule jusqu’au tréfonds de l’être.

Attitude de Jésus aussi, rappelée dans la lettre aux Hébreux : « il a enduré, je cite, la croix en méprisant la honte de ce supplice ». Je ne crois pas qu’il l’ait méprisée au sens où il l’aurait « tenue pour rien » -les évangiles disent les choses autrement, et encore celui d’aujourd’hui -, mais Jésus est allé au bout de sa passion, dans les deux sens du mot passion, il l’a traversée, porté par la prière des psaumes, dans l’absolue déréliction d’une espérance mise à nu.

En effet, les récits de la Passion ne négligent pas de dire l’angoisse qui était celle de Jésus, la veille de sa mort. Et, même plus tôt. Il me semble d’ailleurs que le petit texte de Luc entendu aujourd’hui renvoie déjà à ce regard lucide et anxieux devant ce qui risque de lui arriver et qu’il sent germer autour de lui.

Quand il dit : « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix, mais bien plutôt la division ? », ce n’est pas une intention de sa part, un projet, mais une constatation : il suscite de l’hostilité, des divisions, et il pressent déjà que cela pourrait tourner mal pour lui et pour les familles qui réagissent de manière différente à ses paroles et à ses actes. Et ce doit être une grande souffrance pour lui, qui n’a de cesse que d’annoncer le Royaume selon le cœur de Dieu, son Père, et de donner sa paix. Mais, déjà, il pressent son baptême à venir, qui passe par la mort.

« Je suis venu apporter la division ». En plus, lorsque les évangiles sont écrits, les communautés sont en proie à l’hostilité des Juifs et des Romains, elles sont parfois divisées quant à l’interprétation du message laissé par Jésus et par des tiraillements entre diverses personnalités. Déjà !
Luc, lui-même, doit se dessaisir d’une part de sa culture grecque, attachée à des discriminations sociales en porte-à-faux avec l’idéal évangélique de dignité égale de tous les hommes.

Oui, l’Evangile porte en lui quelque chose d’acéré, de tranchant même. Si Luc utilise l’image du feu, Matthieu, dans le passage qui correspond à celui-ci, parle de glaive : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Oui je suis venu séparer/couper l’homme de son père, la fille de sa mère etc. ».
La parole d’Evangile la plus connue « Aimez- vous les uns les autres » est parfois réduite à quelque chose de gentil voire de doucereux, on escamote le côté tranchant du « comme je vous ai aimés », qui a conduit le Christ là où l’on sait.

En fait, l’Évangile, dirait fr Hubert, c’est une manière de « porter la condition humaine », de la porter et de la conduire vers son accomplissement, ce qui requiert distance critique, résistance ou même parfois dissidence, quand l’humain est bafoué, voire détruit, quand les lois politiques, économiques ou religieuses ne sont plus au service de l’homme et en viennent même à l’asservir ou l’avilir.

La voie de l’Évangile, c’est de sortir la vie des ornières où elle est enfermée ou engluée et de la laisser tracer son chemin vers plus d’humanité et de bonheur. Son souffle est celui de la résurrection : lève-toi ou relève-toi, de la vie est en toi, avance, aie confiance. Souffle de résurrection et de Pentecôte qui déverrouille les cœurs des apôtres et leur donne l’audace de sortir du gouffre d’anxiété dans lequel ils étaient plongés depuis la mort de leur maître.

Animés désormais du feu de l’Esprit, ils s’en vont à tous vents, parlant toutes les langues, partager ce qu’ils avaient reçu de lui.

Puissions-nous à notre tour brûler de ce feu. Qu’il ne se consume pas dans la tiédeur d’un confort matériel ou moral qui nous ferait oublier le côté incisif de l’Évangile de ce jour.

Marie-Pierre Polis

Lectures de la messe :
Jr 15, 10 ; 38, 4-6.8-10
Ps 39 (40), 2, 3, 4, 18
He 12, 1-4
Lc 12, 49-53

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