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Nous venons d’entendre deux minuscules fragments d’un long passage du livre du Lévitique. Pardonnez-moi, mais il m’est difficile d’accepter qu’on puisse ainsi trahir un texte et autant lui manquer de respect. Deux chapitres réduits à quatre versets… Franchement ! Deux longs chapitres : cela signifie que, pour la Torah, on se trouve devant quelque chose de très important, qui mérite qu’on y passe du temps.

Par ailleurs, il faut remarquer que les rédacteurs des évangiles insistent à leur tour sur ce qui deviendra un des grands thèmes des actions et des miracles de Jésus. Plusieurs guérisons de lépreux sont ainsi rappelées, ce qui nous invite à les regarder comme jouant un rôle majeur dans l’établissement du Royaume que Jésus proclame et inaugure.

Mais attention ! Lorsque la Bible parle de la lèpre, il ne faut pas la confondre avec la maladie que nous nommons ainsi, provoquée par le bacille de Hansen. Tout compte fait, les symptômes décrits pourraient appartenir à d’autres affections de la peau : psoriasis, dermatose, gale, dépigmentation, pour n’en citer que quelques unes. De plus, le Lévitique applique le mot « lèpre » à deux autres domaines qui n’ont rien à voir avec la médecine : les maisons et les vêtements.

Bref, ce n’est pas d’une maladie au sens scientifique et médical dont on veut nous parler, encore moins d’un microorganisme dont personne, à l’époque où ces textes sont écrits, ne soupçonne l’existence. Mais alors, de quoi s’agit-il ?

Dans la tradition juive, la lèpre, c’est avant tout quelque chose qui est lié à la parole. Autrement dit, c’est une sorte de pathologie de la relation. On pourrait l’envisager comme une désagrégation de la relation au point d’en être dénaturée, devenant le symbole de la destruction du lien social. La lèpre attaque ainsi trois lieux fondamentaux qui nourrissent et structurent le vivre ensemble : tout d’abord la peau, organe par excellence du toucher, par lequel nous nous rattachons les uns aux autres, par lequel la maman construit le premier attachement avec l’enfant qui vient de naître, si essentiel pour le développement du bébé et pour son sentiment de sécurité, tandis qu’il n’est pas encore capable de parler.

Ensuite la maison, qui symbolise l’intériorité familiale, dont le cœur est la table autour de laquelle prennent place les enfants. La maison structure le rapport entre l’intérieur et l’extérieur, les sorties et les entrées, et plus particulièrement, toutes les mises en route.

Enfin, nous retrouvons la lèpre à propos des vêtements, qui assurent protection et visibilité. Le vêtement révèle la manière dont on se voit et dont on se donne à voir. Dans toutes les cultures traditionnelles, il présente la signature de l’identité et de l’appartenance : la façon de s’habiller raconte le groupe social dont on fait partie. Un uniforme, en quelque sorte… Mais le vêtement est aussi opaque : il recouvre et cache autant qu’il montre. Ce sera d’ailleurs l’objet d’un autre grand chapitre du Lévitique : le respect de la nudité de l’autre, le refus de l’humiliation.

Pathologie de la relation et de la parole : je désire préciser quelque peu. La tradition juive appelle cela : « lashone ha ra ». C’est de l’hébreu ! Traduisons donc : « la langue du mal, de ce qui fait mal », le langage qui tire tout vers l’obscurité, vers ce type de ténèbres bien particulier dont on nous parle dans le livre de l’Exode, cette noirceur qui recouvre tout le pays d’Égypte et qui empêche de voir l’autre comme un frère, comme un prochain à aimer et à nourrir. Lashone ha ra, c’est le langage qui casse tout lien de fraternité.

Le mot « lèpre », « tsaraat » en hébreu, pourrait du reste se décomposer comme suit : « Tsar », l’angoisse, l’adversité, le fait de voir l’autre comme hostile, d’en faire un ennemi ; « Ra », ce qui fait mal, ce qui rend ténébreuses et douloureuses nos relations, ce qui tire l’autre (et soi même aussi, finalement) là où l’humanité se retrouve abîmée, impropre à donner vie : un cancer de la relation, selon une très forte expression du Lévitique (13, 51).

Face à une telle situation, les dispositions qu’adopte la Torah paraissent bien sévères : l’exclusion de la personne atteinte par cette « lèpre ». Mais en réalité, c’est un processus de deuil qui se joue ici, pour sortir du cercle vicieux, pour rompre le lien destructeur de tout dialogue, afin de faire démarrer à nouveau le travail d’élaboration d’un vrai tissu relationnel, où l’autre redevient un frère, un prochain, et même un ami. Il s’agit d’une initiation à rebours, pour arrêter la dynamique de désagrégation dans laquelle le « lépreux » est englué.

J’ajoute un point très important : la lèpre dont parle la Bible ne se réduit pas à un problème individuel, ce qui justifierait précisément l’exclusion du malade. Tous sont concernés, tous sont solidaires. J’ai le souvenir d’un commentaire de Frère François, selon lequel, si le lépreux doit crier qu’il y a en lui quelque chose qui abîme la vie, ce n’est pas pour que les autres s’éloignent ! C’est un appel ! D’ailleurs, encore une fois, le mot hébreu qui figure dans le Lévitique est très clair : un appel pour que l’autre vienne, un appel pour établir ou rétablir une relation. Jésus, dans l’évangile que nous venons d’entendre, avait bien compris !

Tout le processus de mise à distance, selon l’interprétation que je vous ai présentée, vise donc à faire naître sur les lèvres du lépreux un autre langage : l’appel au frère, la découverte que la réalité a un autre goût, qu’elle n’est pas nécessairement le lieu d’une agressivité menaçante ni l’objet de mes manipulations. Si je la regarde autrement, elle peut offrir, comme le dit une de nos hymnes liturgiques, le goût d’un monde nouveau, un monde guéri, réconcilié.

« Appeler », en hébreu, c’est aussi « lire ». Mettons-nous ensemble et relisons nos histoires perdues, réécrivons-les pour les ouvrir à nouveau à la vie, à la Source ultime, au Dieu Un, au Dieu de l’Unification, seul capable enfin de relier les morceaux épars et dispersés des existences cassées, pour les recueillir avec tendresse et leur donner un éclat neuf.

Fr. Étienne Demoulin

Lectures de la messe :
Lv 13, 1-2.45-46
Ps 31 (32), 1-2, 5ab, 5c.11
1 Co 10, 31 – 11, 1
Mc 1, 40-45

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Prière inspirée des lectures

Seigneur, si tu le veux, tu peux me guérir. Et d’ailleurs, je crois vraiment que c’est précisément cela que tu veux. C’est pour cela que tu as pris chair de notre chair. Tu as voulu nous rejoindre, chacun de nous, là où nous sommes.

Le péché, conséquence de cet amour que nous n’avons pas reçu tout autant que de celui que nous n’avons pas su donner, nous a tous blessés, défigurés, mutilés à des degrés divers. Certains d’entre nous, les plus visiblement atteints sans doute, sont montrés du doigt, et puis souvent exclus de la société. Mais le mal qui les ronge est à l’œuvre en chacun de nous aussi, secrètement, insidieusement. C’est toute notre humanité qui est devenue lépreuse et qui lutte contre cette contagion.

Seigneur, je t’en prie, étends la main sur moi, viens me toucher au plus intime, purifie-moi, guéris-moi, restaure en moi la confiance de l’enfant qui se sait aimé de son Père, rétablis-moi dans la communion de mes frères et de mes sœurs. Et si je dois pour cela faire une démarche de réconciliation, montre-moi laquelle.

Alors, comme le lépreux dans l’évangile de ce jour, j’irai partout proclamer à mon tour la bonne nouvelle de ton salut.

Pistes de réflexion pour la semaine

Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis !

Le psaume de ce jour proclame une béatitude pour le moins inattendue. Le psaume ne dit pas : « Heureux l’homme qui ne pèche pas ! » Au contraire, l’expérience du péché est pour nous une occasion de découvrir jusqu’où va l’amour de Dieu pour nous, sa totale gratuité. Cet amour-là porte un nom : la Miséricorde. Dieu a un cœur de pauvre, qui se laisse toucher par notre désarroi dès que nous reconnaissons en vérité, avec Saint Paul : « Je fais le mal que je ne veux pas et je ne fais pas le bien que je veux. » Mais, comme l’illustre la parabole de la brebis perdue, il y a plus de joie dans le cœur de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de repentir. Faisons de cette joie de Dieu notre rempart contre l’auto-flagellation, l’inquiétude, le découragement et le dénigrement.

Tout ce que vous faites, faites-le pour la gloire de Dieu. Ne soyez un obstacle pour personne,

La Gloire de Dieu, selon la racine de ce terme en hébreu, c’est son poids, sa gravité, sa consistance. Il y a de ces êtres dont la personne et le comportement mêmes disent l’existence de Dieu, le poids d’amour que Celui-ci a dans leur vie. Mais nous connaissons tous des gens qui disent ne plus pouvoir croire en Dieu car elles ont été blessées, scandalisées par des personnes qui prétendaient parler et agir au nom de Dieu. Prenons conscience de la responsabilité qui est la nôtre : que nous le voulions ou pas, nos paroles et nos actes engagent Celui dont nous nous réclamons. Ne soyons pour personne un obstacle, mais plutôt des tremplins, des catalyseurs, des passeurs de lumière.

En toute circonstance, je tâche de m’adapter à tout le monde, sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés.

Dans un autre passage de sa première lettre aux Corinthiens, Saint Paul dit qu’il « s’est fait tout à tous, afin d’en sauver quelques-uns ». Une autre traduction dit : « je me suis fait l’esclave de tous ». En cela, Paul suit l’exemple de son maître, qui n’a pas hésité, la veille de sa mort, à laver les pieds de ses disciples et, le lendemain, à subir le châtiment réservé aux esclaves en fuite. Et Paul invite ses disciples à faire de même à leur tour. Pas question d’embrigader, d’enrôler de force. Notre Dieu se donne, s’offre, se propose sans jamais s’imposer. Le serviteur n’est pas plus grand que le maître, il doit apprendre ses chemins. « Prenez sur vous mon joug, car je suis double et humble de cœur. »

Pierre Boland

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