Je me rappelle, il y a quelques années, j’étais dans le centre de réadaptation où je vais régulièrement à Fraiture et je marchais dans le couloir soutenu par un kiné, et on croise un autre kiné qui me dit: « Ah, monsieur Gabriel, vous marchez bien! et mon kiné de lui répondre, oui, bientôt il marchera sur l’eau … »
Nous avons entendu au début de l’évangile, le repas terminé, Jésus met ses disciples dans la barque pour qu’ils le précèdent sur l’autre rive tandis qu’il renvoyait les foules.
Jésus se retrouve seul. Et on peut imaginer que Jésus ne refuse pas de trouver un peu de calme après avoir vu tant de monde !
Il est intéressant d’observer les mouvements dans ce passage d’évangile. Dans un premier temps tout le monde est ensemble. Ensuite Jésus invite ses disciples à monter dans la barque et les envoie sur une autre rive. Jésus se donne un peu d’espace en mettant ses disciples à l’écart. Il leur permet aussi de se retrouver à distance de lui. Ils sont seuls : d’un côté Jésus qui a choisi la solitude pour prier et de l’autre les disciples sont en train de passer sur une autre rive dans la nuit tourmentée par les vents contraires. Remarquons qu’aussi bien la barque que les disciples sont tous deux tourmentés.
Cette petite barque prise dans la violence des flots n’est-elle pas proche de notre navire pour ne pas dire de notre galère(!) et qui se trouve bien souvent ralentie par des vents contraires? Je pense à des familles parfois bien remuées par des circonstances très diverses. Les tempêtes sont toujours difficiles à vivre et nous obligent à avancer pour ne pas sombrer. Ces traversées mouvementées, ces passages difficiles ne peuvent être franchis que si nous acceptons un nouveau scénario pour notre vie, autrement dit, si nous acceptons d’être créatifs et de renaître.
L’évangile ne parle pas en terme de rupture, mais d’écart. Comme la semaine dernière lors de la Transfiguration, Jésus prend distance pour prier, c’est-à-dire pour entretenir ou pour nourrir son lien avec son Père et avec le peuple. Cette solitude amène les disciples à découvrir que la tempête n’est pas seulement en face d’eux, mais qu’elle est aussi à l’intérieur d’eux. Bien souvent nous croyons être troublés par des bruits extérieurs, alors que nous sommes souvent assourdis par notre vacarme intérieur. Nous l’avons entendu dans la première lecture, Élie n’entend pas Dieu dans l’ouragan ou l’agitation, mais dans le murmure d’une brise légère ou une traduction plus fidèle parlera du souffle d’un silence ténu, ou encore le son d’un silence en poussières.
Alors que les disciples sont en route vers l’autre rive, Jésus s’approche d’eux en marchant sur l’eau et ceux-ci sont pris par la peur. Eux qui étaient déjà tourmentés, affronter la tempête et voir un fantôme n’étaient pas pour les rassurer beaucoup. Encore une fois, la peur qu’ils vivent révèle un mal-être intérieur, un manque de confiance plus profond. Et puis, ce n’est pas la première fois que les disciples ne sont pas disponibles pour reconnaître Jésus et pour ne pas le voir… Rappelons-nous les disciples d’Emmaüs dont le regard était obscurci par la mort de Jésus. Alors qu’il était pourtant devant eux sous une apparence nouvelle, les disciples étaient incapables de le reconnaître.
Ou bien quand Pierre s’enfonce dans l’eau car sa démarche vers le Christ est hésitante. Ne sommes-nous pas tous un peu comme Pierre ? Qu’il est difficile de croire au-delà des vents contraires de notre vie! Il est bon d’avoir des guides, des amis, des témoins capables de nous indiquer un chemin sans nous obliger à prendre une direction précise. Ils sont là pour nous écouter et nous encourager à croire dans notre chemin. À croire en nous et à mettre notre confiance en Dieu.
Jésus, en marchant sur les eaux et en nous invitant à marcher à sa suite, nous montre bien que notre vie ne se résume pas aux certitudes extérieures qui veulent nous rassurer. Il ne veut pas non plus nous dissimuler les tempêtes possibles. Mais notre vie est bien plus grande que nos combats quotidiens ralentis par les incompréhensions, les injustices, la maladie, et le mal-être de notre société. La vie est au-delà de nous. Alors que la société de consommation, nous encourage tous les jours à vivre l’éphémère comme une valeur essentielle, on ne cesse de remplacer du matériel et même des engagements sont facilement remis en question. Et nous sommes appelés aujourd’hui vivre notre quotidien avec un goût d’éternité.
C’est ainsi que Jésus, dans sa parole comme dans les sacrements, nous invite à faire le saut de la foi. Au lieu de rester enfermés devant les contradictions de notre condition mortelle ou paralysés par la peur, Jésus nous encourage à croire en la victoire de la vie.
Découvrir cette vie éternelle aujourd’hui, c’est croire que marcher sur les eaux est possible et que Jésus nous entend si nous l’appelons. Même si les vents sont violents et qu’un rien nous fait peur et nous fait tomber, Jésus nous tend la main pour nous relever.
Fr. Pierre Gabriel
Lectures de la messe :
1 R 19, 9a.11-13a
Ps 84
Rm 9, 1-5
Mt 14, 22-33