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Lorsque j’étais vicaire à Saint-Hubert, il était convenu que je célébrais l’eucharistie du mardi matin. Il arrivait assez souvent qu’il y venait une classe de l’école primaire des frères maristes, tantôt l’une, tantôt l’autre. Malheureusement, on n’était presque jamais averti. On n’avait rien pu préparer pour ces élèves, encore moins avec eux. Il fallait en dernière minute évaluer leur âge, deviner leur niveau de connaissance, inventer au pied levé les mots qui permettraient d’adapter la liturgie à leur présence imprévue.

Ainsi donc, un mardi de novembre, dernier mardi du temps ordinaire, je m’activais dans la sacristie quand j’entendis le bruit de bottes caractéristique d’une classe qui déferle sur une église assoupie. On lit ce jour-là, en principe, un passage d’évangile assez ardu, annonçant guerres et soulèvements, tremblements de terre, peste et famines (Luc 21,5-11). Pas facile de trouver dans tout cela, à l’improviste, une bonne nouvelle adressée à des enfants mal réveillés. Je décide assez vite de reprendre l’évangile de la veille : l’obole de la pauvre veuve. Non pas dans la version de saint Marc que nous venons d’entendre, mais dans celle de saint Luc, qui n’est jamais lue à la messe du dimanche. Ces détails ont leur importance, car ils montrent que ces enfants ne pouvaient pas savoir en arrivant que je lirais ce passage de l’évangile. Ils ne pouvaient pas non plus l’avoir préparé avec leur instituteur.

Mais c’étaient des enfants intelligents. En guise d’homélie, je leur ai posé des questions, et j’ai été satisfait de leurs réponses : ils savaient ce qu’est une veuve, ils devinaient sans peine pourquoi les veuves étaient pauvres au temps de Jésus, et ils avaient manifestement écouté la lecture de l’évangile, ce qui n’est pas si banal. Arrive le sommet du récit : pourquoi Jésus fait-il l’éloge de la pauvre veuve ? Quelques doigts se lèvent, j’avise un petit blond assis au premier rang, qui me répond : « Parce qu’elle a donné toute la vie qu’elle avait. » Et je me suis écrié, à l’adresse des grandes personnes clairsemées derrière les écoliers : « Mais cet enfant sait le grec ! »

Je ne saurai jamais dans quel coin de son cœur ce gamin est allé chercher un tel raccourci. Mais effectivement, sa réponse était la traduction littérale du texte grec de l’évangile : tous ceux-là ont jeté de leur superflu dans les offrandes, tandis qu’elle, de son indigence, elle a jeté toute la vie qu’elle avait. Ou bien, dans la version de Marc que je suis censé commenter aujourd’hui : elle a jeté tout ce qu’elle avait, sa vie entière.

Certes, en grec, le mot vie désigne aussi les moyens de vivre, ce qui permet notre traduction : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. Mais dans la langue de l’évangile, le jeu de mots n’est pas anodin. En particulier dans l’évangile de Marc, où les femmes que Jésus rencontrent ont tant d’importance et semblent lui inspirer ses actes les plus décisifs. Cela pourrait faire l’objet d’une autre homélie…

Jésus, arrivé au terme du long voyage qui l’a conduit de Galilée à Jérusalem, aperçoit une femme qui donne sa vie. Il ne lui dit rien, il ne fait rien pour soulager sa pauvreté, il la laisse s’éloigner sans même croiser son regard. Mais demain, quand il aura l’occasion de fuir pour échapper à la mort, il fera comme elle, il donnera toute sa vie.

Fr. François Dehotte

Lectures de la messe :
1 R 17, 10-16
Ps 145 (146), 6c.7, 8-9a, 9bc-10
He 9, 24-28
Mc 12, 38-44

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