Deux mondes se rencontrent et ne se comprennent pas, c’est un peu ce qui se passe dans l’évangile de ce jour. En effet, quand le monde du symbole rencontre le monde du pratico-pratique, il y a souvent incompréhension. Prenons l’exemple de cette image qui a circulé sur internet. Un homme peu versé dans la religion rencontre le pape et lui dit en regardant sa calotte blanche : » Saint Père, vous avez mis votre masque à l’envers. » Pour lui la calotte n’a aucun sens, il y voit un masque mal placé. Le masque, c’est une barrière au virus, tout le monde le sait; la calotte signifie: tu es puissant, mais souviens- toi qu’il y a toujours Quelqu’un au-dessus de toi. Moins de gens le savent.
Le monde de la joie et le monde du faire se rencontrent et ne se comprennent pas.
Le fruit de la vigne de la semaine dernière, dont le produit nous donne le vin de la joie, a été gâté par la violence, le meurtre et la cupidité. Le symbole des noces est tout proche, et l’épisode de Cana nous rappelle que les deux sont liés.
Fêter des noces, c’est partager une grande joie. Voilà bien le but du roi de la parabole qui envoie des invitations, fait préparer le banquet. Mais, alors qu’il met tout son soin et son amour dans les détails de la fête, surgit un élément inattendu : le refus.
En effet, les gens sont accaparés par leurs affaires, commerce, champ, intérêts et profit. Un cœur rempli de convoitise n’ouvre pas sa porte à la joie, ni ne se met en quête de la trouver.
Il y a des couples dont le bonheur d’être ensemble s’étiole lentement dans un silence accaparé par la carrière, la course au succès, à l’argent, … Le roi est blessé dans ce qu’il a de plus précieux. Alors, il fait ouvrir grand les portes, plus de carton nominatif sur les tables, le tout-venant est invité, le mauvais comme le bon. Nous dépassons ici la logique de la morale. Le critère d’admission n’est plus : es-tu connu ? Es-tu en règle ? Mais es-tu capable de partager ma joie ?
Capacité de s’émerveiller de l’amour offert et partagé, joie d’être avec celui que l’on cherche.
Pourtant un élément nouveau vient encore faire brèche à cette attente: l’indifférence. Une attitude assez fréquente de nos jours par rapport à la foi ou une démarche spirituelle, alors que la soif des gens est par ailleurs immense.
Alors, posons-nous la question, même si elle est fausse: que faut-il faire pour être digne ?
Se désintéresser totalement de la terre et des choses d’ici-bas pour entendre l’appel, pour accueillir pleinement la joie de Dieu ? Je ne le pense pas.
Faut-il jouer la carte du bon religieux contre le mauvais païen ? Pas davantage.
Faut-il être Jacob, le spirituel plutôt qu’Ésaü, le violent, l’homme d’action ? Ces deux-là luttaient déjà dans le ventre de leur mère : lutte de la terre et du ciel, de la matière et de l’esprit, de tout ce qui s’oppose en dualité dans notre monde. Les retrouvailles des deux frères montreront qu’aucun des deux ne doit dominer sur l’autre. De la même manière, il faut sortir de la non-vie du refus et de l’indifférence en accueillant l’être dans toutes ses facettes et en les harmonisant. Pour accueillir la joie de Dieu, notre amour des choses et des biens de la terre ne doit pas étouffer notre âme, et d’autre part, le souci de notre âme ne doit pas nous conduire au mépris de notre corps, au mépris du monde.
Sainte Thérèse d’Avila écrit, dans son autobiographie, que la joie qu’elle recevait dans la prière n’était ni tout à fait spirituelle, ni tout à fait sensuelle. L’opposition de la matière et de l’esprit est comme dépassée dans l’unité qu’est Dieu se donnant à nous.
Être libre, comme saint Paul dans la deuxième lecture, c’est être soi et pouvoir accueillir naturellement et spontanément la joie d’exister, que ce soit à travers une grâce toute spirituelle ou par le biais d’un bon repas, de noces en l’occurrence, ou comme celui décrit par Isaïe dans la première lecture. Le refus, l’indifférence ou l’échec procèdent souvent du fait que nous doutons pouvoir réconcilier matière et esprit en nous.
Il n’y a pas deux mondes, frères et sœurs. L’âme se réjouit des saveurs et du goût ; le corps exulte quand l’esprit partage la joie des noces. Tout s’unifie en Lui.
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
Is 25, 6-10a
Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
Ph 4, 12-14.19-20
Mt 22, 1-14