Notre traduction de l’évangile dit que Jésus fut saisi de compassion. C’est ce qu’on trouve dans la plupart des traductions et dans certains manuscrits. Mais ce n’est sans doute pas ce que Marc a écrit. Le texte le plus probable dit que la démarche du lépreux a irrité Jésus. Son irritation surprend et un copiste a dû croire judicieux de corriger l’évangile en écrivant que Jésus fut saisi de pitié. Mais quand on se trouve devant deux versions d’un même texte, on suppose d’ordinaire que la plus difficile est la plus ancienne. Car on imagine aisément qu’un copiste modifie un document pour le simplifier, alors qu’il est peu probable qu’il s’amuse à y ajouter des difficultés. Reste alors à se demander ce qui irrite Jésus.
On pourrait penser que Jésus est mécontent parce que le lépreux viole la loi en s’approchant de lui, peut-être même en pénétrant dans la synagogue où il est en train d’enseigner (le verset précédent disait que Jésus proclamait l’Évangile dans leurs synagogues). Mais Jésus vient de montrer qu’il était libre à l’égard de la loi quand elle fait obstacle à la vie. Du reste, lui-même va l’enfreindre en touchant le malade, alors qu’il serait à même de le guérir à distance.
Certains estiment que Jésus est dérangé par cette demande de guérison, parce qu’il se trouve dans un lieu public, contrairement à la belle-mère de Simon, qu’il a délivrée de sa fièvre à l’abri des regards. Jésus redouterait une nouvelle ruée de malades. Mais on vient de nous dire qu’il était justement occupé à expulser des démons. Alors, un de plus ou un de moins, est-ce cela qui fait la différence ?
Je crois pour ma part que Jésus n’est pas gêné par le désir de purification de cet homme, que d’ailleurs il guérit aussitôt. Mais ce qui lui déplaît, c’est la formulation de sa demande : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Et il me semblerait malencontreux d’en faire notre prière, comme le suggère parfois la liturgie.
L’affirmation du lépreux, c’est que Jésus peut le purifier, mais qu’il pourrait ne pas vouloir le faire. Il ne doute pas de sa puissance, mais il doute de sa bonté. Souvent, quand on essaie de dire qui est Dieu, on parle d’abord d’un être qui voit tout, qui sait tout, qui peut tout. Ensuite seulement, on se demande si cette Force toute-puissante pourrait aussi nous aimer, s’intéresser à nous, faire preuve de bonté. Combien de fois n’avons-nous pas entendu : « Si Dieu était bon, il ne permettrait pas tout cela. » Ou bien : « Si Dieu existait, les choses n’iraient pas comme elles vont. »
De tels propos supposent que Dieu, s’il existe, est une puissance illimitée, qu’il peut tout faire, et donc empêcher le mal. Et comme il est manifeste qu’il ne l’empêche pas, on met en doute sa bonté ou son existence. Mais curieusement, on ne met jamais en doute sa puissance. Consciemment ou non, on fait de la puissance la définition de Dieu.
Il faut prendre les choses par l’autre bout. Dieu est amour et bonté. Ce qui devrait être certain, c’est que Dieu empêcherait le mal et la souffrance s’il le pouvait. De sorte que la prière du lépreux ne devrait pas être : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Mais : « Si tu le peux, tu veux me purifier. Ce qui est hors de cause, c’est ta volonté de bien, la bonté de ton vouloir. Je ne sais pas ce qui pourrait t’empêcher de me guérir, mais ce que je sais, c’est que tu veux me guérir. » La bonté de Dieu ne fait pas l’ombre d’un doute. Jésus le montre en purifiant le lépreux, et en plus, pour que les choses soient bien claires dans sa tête et dans la nôtre, il le lui dit : « Je le veux, sois purifié. » Évidemment que je le veux, comment peux-tu en douter ?
Lectures de la messe :
Lv 13, 1-2.45-46
Ps 31 (32), 1-2, 5ab, 5c.11
1 Co 10, 31 – 11, 1
Mc 1, 40-45