Un bon garçon, un bon pratiquant, et bien poli. Il se met à genoux devant Jésus. « Bon maître, que dois-je faire ? » – « Pourquoi dire que je suis bon, c’est le Bon Dieu qui est bon… ». Peut-être y a-t-il déjà dans le début de ce dialogue une petite alerte discrète de saint Marc qui, depuis le début de son évangile, pose la question de qui est vraiment Jésus. Et la réponse viendra tout à la fin dans la bouche d’un officier romain : « vraiment, cet homme était Fils de Dieu ». Donc, le bonhomme ne se trompe pas en appelant Jésus ‘bon maître’ et en lui posant la question fondamentale du sens de la vie. Cette question que l’auteur du récit formule en nous mettant de nouveau la puce à l’oreille : « que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » La suite du texte va nous montrer qu’il ne s’agit pas d’avoir un héritage mais d’être en service.
On pourrait donc dire qu’au départ notre homme a tout faux. Pourtant Jésus lui répond honnêtement en lui rappelant les grands commandements de la Loi juive, que l’autre a effectivement observés depuis sa jeunesse. Puis, « il posa son regard sur lui et l’aima ». Je me réjouis de ce regard que le Seigneur continue de poser sur moi et sur chacun de nous, en nous aimant. C’est dans sa nature divine de nous aimer, il ne peut pas nous voir autrement. C’est déjà une fameuse bonne nouvelle !
Mais ce n’est pas tout. « Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres » : alors là, ça coince ! D’autant plus si nous avons de grands biens. Peut-être les avons-nous placés, comme d’autres dont on a parlé cette semaine, dans des paradis fiscaux ? Le paradis de Jésus n’est pas comme ceux-là. Son Royaume n’est pas de ce monde. Pour y entrer, il faut être dépouillé de tout. Ce qui, de toute façon, arrivera…
Il s’agit donc en quelque sorte d’anticiper ce Royaume de Dieu, et d’entrer dès maintenant dans ce qu’est la vie en plénitude. Pour cela, il faut être prêt à revoir tous nos comportements en fonction de l’impératif premier : suivre le Christ. Les obstacles sur cette route ne manquent pas, à commencer par l’attrait des richesses. Les disciples en sont bien conscients quand ils disent à leur maître : « mais alors, qui peut être sauvé ? ». La réponse peut les rassurer quelque peu, et nous aussi, puisque ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu. Il n’empêche : « la parole de Dieu est vivante, énergique et plus coupante qu’une épée » comme dit la lettre aux Hébreux. Nous devons donc être très attentifs à ne pas la neutraliser, la relativiser, lui enlever son tranchant. Oui, tous les hommes peuvent être sauvés, y compris les riches ou les puissants puisque tout est possible pour Dieu. Son amour est toujours plus fort que nos faiblesses et que nos richesses, et il ne l’impose pas. Mais cet amour, celui qui habite le regard de Jésus sur son interlocuteur et sur chacun de nous, appelle à lui préférer tout autre bien, y compris les plus précieux, comme par exemple les relations familiales qu’il évoque en les détaillant : frères, sœurs, père, mère , enfants… Et c’est en vue de relations plus larges, « au centuple » ! Voilà sans doute ce que gagne celui qui accepte d’avoir les mains vides : une extraordinaire richesse de relations, et des relations d’amour. Pensons à l’un ou l’autre exemple de vie donnée,comme François d’Assise que nous venons de fêter, plus près de nous Mère Teresa, ou – pourquoi pas ? – tous ces hommes et femmes solidaires qui se sont offerts gratuitement pour aider les sinistrés.
Comment anticiper le Royaume de Dieu ? « J’ai prié, répond le livre de la Sagesse, et le discernement m’a été donné. L’esprit de la Sagesse est venu en moi, tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable, l’argent sera regardé comme de la boue. Plus que la santé et la beauté, je l’ai choisie…Tous les biens me sont venus avec elle et par ses mains une richesse incalculable… »
Prions pour être libres à l’égard des biens terrestres et recevoir le discernement, l’esprit de la Sagesse, l’Esprit de Dieu.
René Rouschop
Lectures de la messe :
Sg 7, 7-11
Ps 89 (90), 12-13, 14-15, 16-17
He 4, 12-13
Mc 10, 17-30