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Il y a quinze ans, dans mon commentaire de la Passion selon saint Luc, je vous ai confié que j’avais été choqué par une inconvenance des apôtres. Jésus, après leur avoir donné son corps et son sang, leur révèle qu’il est livré par l’un d’eux. Leur réaction : ils commencèrent à se demander les uns aux autres quel pourrait bien être, parmi eux, celui qui allait faire cela. Ils en arrivèrent à se quereller : lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ? Comment ont-ils pu avoir l’indécence de passer d’une question à l’autre, de la question dramatique de l’identification du traître à la question ridicule des préséances ?

Voilà ce que je vous ai dit alors, je suppose que vous vous en souvenez. C’était le 1er avril 2007, et ce n’était pas un poisson d’avril. Pourtant, je ne dirais plus aujourd’hui les choses de la même façon. J’évolue. Et je désire rendre justice aux apôtres. Car je me suis rappelé depuis lors que ce n’est pas la première fois qu’ils se demandent lequel d’entre eux est le plus grand. Ils se sont déjà posé la question en Galilée, après la transfiguration. Jésus venait de leur dire : « Ouvrez bien vos oreilles à ce que je vous dis maintenant : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes. » Ils n’avaient pas compris cette parole et ils n’osaient pas réclamer des éclaircissements, mais c’est alors qu’ils se sont demandé lequel d’entre eux était le plus grand (Lc 9, 44-46).

La question ne germe pas dans l’esprit des apôtres à n’importe quel moment. Dans les deux cas, que ce soit sur un chemin de Galilée ou autour de la table de la dernière cène, la question est provoquée par l’annonce de la mort de Jésus. Les apôtres ne comprennent pas bien comment il peut imaginer une chose pareille. N’est-il pas le Messie ? N’est-il pas évident qu’il va nous conduire à la victoire sur l’occupant romain ? Oui, mais il a tout de même l’air de croire qu’il va y laisser sa peau. Ce n’est pas la première fois qu’il nous prévient. Et il a remis Pierre à sa place, vertement, le jour où il a voulu le contredire. Et si c’était vrai ? S’il devait réellement périr dans la révolution, qu’est-ce qu’on fait ? On retourne à la pêche ? Ou bien on continue ? On continue, cela va de soi, on n’a pas fait tout ce chemin avec lui pour rien. Mais alors, qui prend la direction des opérations ? Lequel d’entre nous conviendra le mieux pour nous entraîner ? Qui est le plus grand ?

La question montre que les apôtres étaient des hommes décidés, réalistes et courageux. Et Marc précise qu’ils ne manquaient pas de tact. Il raconte lui aussi que Jésus leur annonce sa mort, qu’ils ne comprennent pas, qu’ils craignent de l’interroger. Mais il ajoute un détail intéressant : Une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand (Mc 9, 33-34). Ils n’osent pas avouer de quoi ils ont parlé. Ce n’est pas que leur question soit stupide, mais ils sont assez fins pour deviner qu’elle peut être inconvenante. Ils ne vont pas dire platement à Jésus : « Ben, puisque tu nous répètes que tu vas te faire tuer, on se demandait qui prendrait ta place. » Jésus aurait pu leur répondre : « Attendez tout de même que je sois mort avant de m’enterrer. »

Les apôtres ne sont pas les lourdauds qu’on nous a souvent présentés. Jésus les avait choisis en raison de leurs qualités humaines. Il savait qu’ils devraient un jour prendre la relève et que l’avenir de l’évangile dépendrait d’eux. C’est grâce à eux que nous sommes ici.

Fr. François Dehotte

Lectures de la messe :
Lc 19, 28-40
Is 50, 4-7
Ps 21 (22), 8-9, 17-18a, 19-20, 22c-24a
Ph 2 6-11
Lc 22, 14 – 23, 5

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