« Le Défenseur, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit ». L’Esprit Saint est pour nous la mémoire de ce que Jésus a dit et a fait. Parmi toutes nos paroles et conversations, toutes les paroles du monde, il rappelle, il est la mémoire vive de Jésus. Contre l’indifférence, contre l’oubli, contre l’affadissement qui risquent d’ensevelir le souvenir de Jésus, l’Esprit Saint fait passer, il introduit ce qui réactive dans le monde la figure de Jésus. Pour exprimer cela, la belle séquence chantée en cette fête, est tout à fait à la hauteur. Ses mots ne sont pas sortis d’un tiroir de poèmes à apprendre par cœur ; ils disent avec grande simplicité une expérience spirituelle : « père des pauvres, lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, assouplis ce qui est raide ». Comment dire ces choses plus simplement ? Alors comment ne pas fêter l’Esprit Saint ?
Je me suis demandé si l’Esprit saint pouvait faire comprendre ce qu’est la Bonne Nouvelle, ce qu’est l’Évangile. Ceux qui me fréquentent savent que c’est devenu pour moi la question décisive, probablement une question ultime. Or justement il y a trois mots de la première lecture, tirée des Actes des Apôtres, qui m’ont rejoint. Ce sont trois mots, trois métaphores. Si l’on veut parler des choses évangéliques, parler de Dieu, on ne peut le faire qu’avec des métaphores. Le langage fonctionnel, le langage marchand n’est pas à la hauteur, il ne convient pas.
Alors, prenons ces trois mots successivement. L’Évangile en nous, comment en parler, à quoi allons-nous le comparer ?
Tandis que les disciples sont rassemblés, il se produit soudain un bruit comme un violent coup de vent. L’Évangile est en nous est un souffle ; il met du souffle dans la vie, dans notre vie, de l’inspiration. Jésus ne nous a pas laissé des mots à redire mais une inspiration. Il ne nous invite pas à répéter ou à reproduire mais à devenir Évangile… Parfois on dit que les Églises utilisent une « langue de bois » ou une « langue de buis ». Eh bien, ce n’est vraiment pas ce que fait l’Esprit saint.
On peut ajouter que ce vent qui tombe sur les disciples les fait bouger, les déloge, les dé-place. Ils ne tiennent plus en place. Qu’est-ce à dire sinon que l’Évangile est en nous ce qui sans cesse nous déplace comme le vent dont on ne sait ni d’où il vient et où il va ? Il défait nos fixations, nos fixités pour nous mener au-delà de vies qui s’arrêtent, qui se figent dans leurs plis.
Le deuxième terme auquel recourt le texte des Actes pour parler de l’Esprit Saint est celui de feu. « Réchauffe ce qui est froid », comme nous l’avons entendu dans la séquence. Et Jésus lui-même utilise cette métaphore : « je suis venu apporter le feu sur la terre ». Rien n’est plus contraire à l’Évangile que le morbide, le mortifère, le côté geignard qui puent et pourrissent la vie au-dedans. L’Évangile n’est pas du côté de la perfection mais de la ferveur. Les mots de Saint-Exupéry : « n’invente pas d’empire où tout soit parfait, invente un empire où tout soit fervent ». Ce n’est pas gagné d’avance bien sûr, c’est une lutte toujours à reprendre contre la mauvaise tristesse, contre la pulsion de mort qui colonisent l’âme et l’empêche de respirer, de prendre du souffle.
J’en viens maintenant à la troisième expression, toujours en suivant les Actes des apôtres : il est question de langues de feu qui se déposent sur les disciples mais voilà que cette langue de feu les fait parler, leur donne de parler. Leur langue qui était liée par la peur se délie. Et chose étonnante : non seulement ils parlent mais les gens venant de différents coins du monde connu les comprennent. Miracle de traduction ? Plus simplement, n’est-ce pas laisser entendre que l’Évangile est au fond un langage universel, une langue que tout le monde peut comprendre dans sa langue.
« Ils parleront des langues nouvelles ». Et en effet, l’Évangile est aussi l’invention d’un langage comme on le voit faire chez Jésus avec les paraboles ou d’autres formules frappantes. C’est que l’Évangile n’est pas une langue sacrée à répéter mais le comment on peut avoir la vie sauve, comment rendre la vie viable. Si l’on peut redire ce qui est dans le récit qui est venu jusqu’à nous pour garder mémoire et faire « en son nom », il faut aussi s’autoriser à donner des voix nouvelles à l’Évangile afin qu’il demeure une voix appelante, celle qui fait bouger et sortir des ornières des langues mortes. Oui, changer d’air !
Fr. Hubert Thomas
Lectures du jour :
Jl 3, 1-5a
Ps 103 (104), 1-2a, 24.35c, 27-28 , 29bc-30
Rm 8, 22-27
Jn 7, 37-39