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La réaction première à la lecture de cet évangile et à sa conclusion « Veillez car vous ne savez ni le jour ni l’heure » est de penser à la mort, cette faucheuse qui vient quand on ne s’y attend pas. Et l’époque que nous vivons renforce certainement cette vision. Des parents, des amis vus ou entendus encore il y a peu de temps tombent, frappés par la pandémie.

Ce passage de Matthieu s’inscrit dans son discours sur la fin des temps. Le Temple de Jérusalem est détruit et le chrétien de cette fin du 1er siècle vit sous la menace de la fin du monde et du jugement de Dieu, et dans l’attente du retour du Christ. La parabole de ce jour est l’une des cinq paraboles centrées sur le devoir d’une vigilance active.

Le contexte étant dessiné, n’y a-t-il pas d’autre lecture possible ? Voyons le texte de plus près.

Le cadre

Dans la Palestine antique, l’usage voulait qu’au soir des noces, les amies de la jeune mariée attendent avec elles l’époux. À la lumière de leurs lampes, elles accompagnaient le couple vers la chambre nuptiale. Jésus a repris cette image pour nous parler du Royaume. Mais que veut-il nous dire ?

La symbolique

Elle est omniprésente : dix jeunes filles. Dix, la totalité, l’humanité donc, répartie en deux groupes coexistants, un peu comme dans la parabole du bon grain et de l’ivraie qui poussent ensemble. Les noces disent la célébration d’un amour, mais aussi l’alliance entre Dieu et l’homme. L’époux, c’est le bien aimé, ce peut être le Christ, Dieu lui-même. Les lampes, l’huile, nous y reviendrons.

L’intrigue

Bizarrement, le sens semble donné dès le départ, ce qui n’est pas l’habitude des paraboles, en classant d’emblée les jeunes filles en insouciantes et en prévoyantes. Jésus avait déjà opposé l’homme avisé qui « bâtit sur le roc » et l’insensé qui « construit sur le sable ». En fait, le 1er sens du terme grec traduit par insensé, ou imprévoyant, est celui d’émoussé, d’éméché comme lorsqu’on a un peu trop bu et que l’on perd la notion du réel.

Or être dans le réel, c’est prévoir, anticiper : les jeunes filles ont péché par imprévoyance. Elles se sont enfermées dans un présent clos sur lui-même sans penser réellement à l’événement qui les attendait. Elles sont sorties comme les autres avec leurs lampes pour attendre l’époux, mais que contenaient leurs fioles ? Quelle était leur huile ? Par quel désir étaient-elles réellement animées ? Par quelles passions ? Quelle était l’intensité de leur attente ?

Elles se sont endormies comme les autres. Ce n’est pas là le problème, mais leur être n’était pas habité par cette attente. Elles n’avaient pas habillé leur cœur comme le Petit Prince pour sa rose. Leur sommeil n’était pas celui de la jeune fille du Cantique, endormie elle aussi parce que son bien aimé tardait à venir, mais qui n’a cessé de le chercher. Et elle a cette parole reprise par bien des mystiques : « Je dors, mais mon cœur veille… » (Ct 5, 2).

En fait, ce récit nous renvoie à la question : qu’est-ce qui est essentiel pour nous ? Pour quoi, pour qui avons-nous le cœur en éveil, pour quoi, pour qui sommes-nous passionnés ? Les jeunes filles insouciantes ont laissé éteindre la flamme de leur désir, elles ne pouvaient entrer à la noce. L’époux ne les reconnaît pas. La relation s’était consumée, comme les lampes. Et les autres ne pouvaient les aider. Personne ne peut vivre, aimer ou désirer à la place d’un autre.

Ainsi, on le voit, si cette parabole est écrite dans un contexte eschatologique, on peut s’autoriser à voir dans le retour de l’époux – le Christ – une invitation à accueillir « l’incessant retour du Christ sur les chemins de nos vies »[1] , selon la belle expression de Dominique Collin, en ne manquant pas les rendez-vous qu’il nous propose et en étant attentif aux cris du monde. Il se donne à rencontrer dans le visage des frères que nous croisons sur notre route, quels qu’ils soient, Fratelli Tutti.

En conclusion, je dirais que ce récit nous invite à un double écart :
* un écart dans le temps : l’écart de l’anticipation. S’il s’agit de vivre l’aujourd’hui, d’y être présent, l’Évangile nous dit qu’il ne faut pas y être enfermé sous peine de ne pas être au rendez-vous de ce qui peut advenir ou de manquer l’à-venir. Écart du « déjà là et pas encore là », écart de la promesse et de l’espérance.
* un écart dans l’espace, ou plutôt un déplacement : les jeunes filles sortent de chez elles, de leur quant à soi, du moins pour les sensées. Et, pour pouvoir entrer au banquet des noces, il leur faut cultiver la vigilance, le désir, l’engagement de sa personne et de sa vie.

Entrer au banquet des noces ? Le texte grec ne parle pas de banquet, mais d’entrer avec l’époux dans les noces …

Marie-Pierre Polis

[1] Dominique COLLIN, Mettre sa vie en paraboles, p. 82

Lectures de la messe :
Sg 6, 12-16
Ps 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 7-8
1 Th 4, 13-18
Mt 25, 1-13

Ne vous imaginez pas que l’Amour, pour être vrai, doit être extraordinaire.

Ce dont on a besoin, c’est de continuer à aimer. Comment une lampe brille- t-elle, si ce n’est par l’apport continuel de petites gouttes d’huile ? Qu’il n’y ait plus de gouttes d’huile, il n’y aura plus de lumière et l’Époux dira : Je ne te connais pas.

Mes amis, que sont ces gouttes d’huile dans nos lampes ? Elles sont les petites choses de la vie de tous les jours : la joie, la générosité, les petites paroles de bonté, l’humilité et la patience, simplement aussi une pensée pour les autres, notre manière de faire silence, d’écouter, de regarder, de pardonner, de parler et d’agir.

Voilà les véritables gouttes d’Amour qui font brûler toute une vie d’une vive flamme.
Ne cherchez donc pas Jésus au loin ; il n’est pas que là-bas, il est en vous.
Entretenez bien la lampe et vous le verrez.

Mère Térésa

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