En plein exil, la parole de Dieu fut adressée au prophète Ézéchiel dans une grande vision. Tout d’abord, je vous rappelle que le mot « prophète » signifie « porte-parole de Dieu » et non « devin ». Les quelques versets que nous avons entendu, font partie de l’appel d’Ézéchiel à devenir prophète. Tout se passe près du fleuve Kébar, c’est-à-dire, en pleine terre païenne. La parole ne s’adresse pas à quelqu’un qui est resté à Jérusalem. Le peuple est en périphérie, découragé devant l’échec vécu. Le psaume 136 nous dit leur état d’âme : « Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion. Aux peupliers d’alentour, nous avions pendu nos harpes. »
Aujourd’hui, nous sommes avec Jésus et ses disciples à Nazareth, sa patrie. Tout d’abord, il faut dire que nous nous trouvons devant un passage évangélique très controversé, en ce qui concerne la référence à la famille de Jésus. D’un côté, les orthodoxes et les catholiques, de l’autre, les protestants. Il ne s’agit pas ici de prendre parti sur la parenté de Jésus, et de mettre en question la dogmatique de notre Église.
Nous sommes donc à Nazareth, aujourd’hui, avec les disciples de Jésus. Regardons et écoutons les réactions de ces villageois qui croient tout connaître de Jésus. Ils voient Jésus, l’homme, et s’étonnent de sa sagesse, de ses enseignements et de ses guérisons. Mais ils sont choqués, scandalisés, nous dit même Marc. Ils ne sont pas ouverts à la dimension divine de Jésus, à l’action de Dieu le Père dans ses desseins, dans sa liberté. « Qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas, ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux », nous dit la première lecture.
Regardons avec attention les disciples (c’est-à-dire aussi, nous, les disciples d’aujourd’hui). Aucune réaction de leur part ne nous est rapportée, mais ils continuent à suivre Jésus sur ses chemins, de ville en village. Ils voient en lui un homme qui vient de Dieu. Ils vont le suivre et le reconnaître peu à peu comme Fils de Dieu, comme Dieu incarné : c’est un long chemin ! A mon sens, le texte évangélique n’est pas là pour nous donner des informations biographiques à propos de Jésus. Il est plutôt témoin de son apparent échec. Mais les disciples suivent Jésus sur son chemin de vie, continuent d’entendre ses paroles et ses enseignements et sont aussi témoins de ses miracles. Cela signifie, peu à peu voir en Jésus l’incarnation de Dieu. Ce texte nous invite donc, au-delà des échecs, à continuer la route avec lui.
Saint Paul nous parle, quant à lui, d’une écharde, peut être un échec qu’il doit accepter et traverser. Lui aussi nous éclaire sur le scandale de la croix, un apparent échec. « Mort, où est ta victoire ? » Elle a été vaincue le troisième jour.
Nous sommes donc devant l’apparent échec de Jésus à Nazareth. Malgré ses signes et ses prodiges, les habitants de la ville ne croient pas en lui, même pas comme prophète. La question de « qui est Jésus ? » nous est posée. « Et moi, qui suis-je ? » nous dit Jésus. Quelle est notre réponse aujourd’hui ? Maintenant ?
Enfin, nous sommes invités à nous regarder, à regarder nos proches avec les yeux de Dieu, c’est-à-dire, apprendre à nous émerveiller, ne pas dire trop vite : « Je le connais, je te connais ! » Combien de fois ne disons-nous pas que les pauvres nous enseignent. Mais il faut d’abord reconnaître nos pauvretés à nous, au-delà des apparences. Et il faut oser dire également qu’il y a aussi en chacun de nous des étincelles de la présence de Dieu.
Demandons la grâce de convertir nos regards, d’accepter nos échecs, de les traverser, de nous motiver à devenir plus grands, je veux dire, de devenir nous-mêmes. Changer notre regard, mais aussi affiner nos oreilles. Combien de fois n’écoutons-nous pas l’avis de nos proches ? Combien de fois ne regardons-nous pas nos frères, car d’avance nous savons ce qu’ils sont, ce qu’ils pensent… C’est une invitation à nous ouvrir au mystère de l’autre, à croire à l’action divine qui travaille, qui est à l’œuvre dans chacun de nous, à nous ouvrir à la grâce, car la puissance de Dieu donne toute sa mesure dans la faiblesse, comme nous le dit saint Paul.
Demandons au Seigneur de voir en Jésus autant le fils du charpentier que le Ressuscité, vraiment Dieu et vraiment homme, ainsi que nous le confessons dans le credo. L’incarnation est au cœur de notre foi. Comme les disciples, continuons à suivre Jésus, à marcher sur ses pas, pour ainsi continuer à édifier nos vies sur le roc, la pierre d’angle, la Parole de Dieu incarnée. Laissons résonner en nous la question fondamentale de Jésus, qu’il nous adresse aujourd’hui, mais qu’il relancera tout au long de notre vie : « et pour toi, qui suis-je ? » Et, comme en écho : « et moi, à qui Jésus s’adresse aujourd’hui, et moi aussi, qui suis-je ? »
Amen !
Fr. Manuel Akamine
Lectures de la messe :
Ez 2, 2-5
Ps 122 (123), 1-2ab, 2cdef, 3-4
2 Co 12,7-10
Mc 6, 1-6